Soutien aux librairies : consultation publique sur le prix minimum de livraison des livres
Par Franck Lemarc
Comment sauver les librairies, et en particulier les librairies indépendantes, de la concurrence des plates-formes sur internet ? C’est pour tenter de répondre à cette question qu’a été adoptée, à la fin de l’année dernière, une loi « visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs » (loi Darcos du 30 décembre 2021).
Arrêté en préparation
Le premier article de ce texte modifie la loi Lang du 10 août 1981, en précisant que « le service de livraison du livre ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement, être proposé par le détaillant à titre gratuit, sauf si le livre est retiré dans un commerce de vente au détail de livres ».
Il s’agit ici de lutter contre les pratiques des plates-formes – et l’on pense alors tout de suite au n°1 mondial de la vente en ligne, Amazon, qui ne facture pas jusque-là la livraison des livres commandés sur son site. (On l’oublie parfois, mais Amazon, avant de devenir une entreprise vendant absolument tous les produits en ligne, produisant des films et envoyant des fusées dans l’espace, a commencé, en 1994, par être une simple librairie en ligne – dont son fondateur avait inventé le concept.)
Depuis la publication de cette loi, Amazon ne peut plus pratiquer la gratuité de la livraison. Le géant américain facture la livraison de livres… 0,01 euro. Mais on aurait tort de croire que cette entreprise est la seule à user de cette pratique : les autres grandes enseignes de produits culturels – le site fnac.com par exemple – font exactement de même. Les dispositions actuellement à l’étude ne sont donc pas, comme on l’entend souvent, « anti-Amazon », mais visent toutes les plates-formes, américaines comme françaises.
Mais ce tarif à 0,01 € ne va pas durer : la loi précise qu’au plus tard six mois après sa promulgation (donc en juillet prochain) un arrêté devra fixer « un montant minimal de tarification » appuyé sur les « tarifs proposés par les prestataires de services postaux sur le marché ».
Proposition à 3 euros
C’est l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) qui a été chargée de travailler à la rédaction de cet arrêté. L’Autorité, hier, a lancé une consultation publique sur son projet.
Dans un document d’une dizaine de pages, elle détaille ses objectifs et ses moyens. Les librairies physiques « font face à une sérieuse distorsion de concurrence », explique l’Arcep, qui rappelle que la loi prévoit d’instaurer un « tarif plancher de frais de port » pour l’achat à distance de livres neufs. En s’appuyant sur les tarifs pratiqués par les grands opérateurs de livraison pour les colis, et en partant du constat que le poids des livres s’échelonne entre « 100 g et 1 kg », l’Arcep propose un tarif unique, forfaitaire, de 3 euros TTC pour chaque livre neuf.
L’Autorité constate également qu’une pratique courante dans le commerce (en ligne comme physique) consiste à proposer la gratuité de la livraison à partir d’un certain montant d’achats. Elle propose de ne pas mettre fin à cette pratique, qui encourage les achats massifs de livres. Dans ce cas, le tarif de livraison pourrait être maintenu à 0,01 euro. Le seuil à partir duquel cette « ristourne » pourrait être appliquée reste à discuter – l’Arcep suggère la somme de 25 euros.
L’Arcep propose enfin que lorsque le vendeur en ligne propose des offres d’abonnement (type Amazon Prime ou Carte Fnac+), cette offre ne dispense pas l’acheteur de payer les 3 euros de livraison.
Enfin, ce tarif de livraison ne s’appliquera pas si le livre commandé est retiré dans une librairie. Si le retrait s’effectue dans tout autre point de retrait « qui ne peut être qualifié de commerce de vente au détail de livres », le tarif s’appliquera.
Les citoyens comme les professionnels sont maintenant invités à faire part de leurs commentaires sur ces différentes propositions sur le site de l’Arcep.
Soutien des communes et des EPCI
Il faut enfin rappeler que contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les plates-formes en ligne qui mettent le plus en danger les librairies indépendantes, mais la grande distribution. D’après plusieurs études, le développement des « espaces culturels » au sein des hypermarchés, dans les années 1990, a provoqué bien plus de fermetures de librairies indépendantes que le développement du commerce en ligne. À preuve, entre 2008 et aujourd’hui – qui marque l’âge d’or du développement des plates-formes en ligne – la part de marché des librairies indépendantes n’a diminué que de 2,5 %. 45 % des livres sont en revanche aujourd’hui achetés en grande surface, contre moins de 25 % en 1994.
C’est pourquoi la loi du 30 décembre ne vise pas seulement les plates-formes mais prévoit aussi un soutien aux librairies indépendantes. Elle prévoit notamment, à l’article 2, que les communes et les EPCI vont pouvoir désormais « attribuer des subventions à des établissements existants ayant pour objet la vente au détail de livres neufs ». Seules pourront bénéficier de ces subventions les petites et moyennes entreprises, ce qui en exclut, de fait, les hypermarchés ou les grandes chaînes.
Cette disposition doit faire l’objet d’un décret, qui devrait être publié d’ici au moins de juin.
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