Féminicides : le gouvernement annonce la création d'un fichier des auteurs de violences conjugales
Par Franck Lemarc
La question des féminicides s’est encore invitée hier, au Sénat, lors de la séance de questions au gouvernement, pendant laquelle la sénatrice Esther Benbassa a, une fois de plus, égrené la sinistre litanie des meurtres de femmes par leur conjoint. Pour ne parler que des toutes dernières semaines, « Odile poignardée le 27 mai à Valenciennes, Jennifer abattue d'un coup de revolver le 30 mai, Aurélie battue à mort le 31 mai, Doris défenestrée par son conjoint ivre le 3 juin... » Ce sont déjà 49 femmes qui ont été tuées par leur conjoint en ce début juin. « Ne pouvons-nous rien faire de plus que continuer à compter les victimes ? », a lancé la sénatrice à l’attention du gouvernement. La ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, s’est défendue de toute accusation d’inaction – répétant que ce gouvernement est celui qui en a le plus fait sur cette question depuis des décennies – et annoncé qu’une réunion se tiendrait, le soir même, « pour voir ce que nous pouvons faire encore pour mettre fin à ces intolérables assassinats ».
« Dysfonctionnements »
Cette réunion s’est tenue à Matignon en présence des quatre ministres (Intérieur, Justice, Égalité entre les femmes et les hommes, Citoyenneté), à l’occasion de la remise du rapport d’inspection sur les deux féminicides de Mérignac et d’Hayange (lire Maire info du 26 mai). Dans les deux cas, il apparaît que les victimes avaient déjà signalé qu’elles étaient en danger, voire avaient porté plainte, ce qui n’a pas empêché leur assassinat. Alors que la première réaction du gouvernement avait été de refuser de mettre en cause le fonctionnement de la police et de la justice (« Je m’étonne qu’à chaque féminicide, on cherche à savoir quel magistrat ou policier pourrait être responsable plutôt que de blâmer l’homme qui se dit qu’il a le droit de tuer une femme parce qu’elle lui appartiendrait », avait déclaré Marlène Schiappa le 26 mai), les conclusions du rapport semblent plus nuancées : le communiqué de Matignon évoque bien « des dysfonctionnements au niveau local à la fois dans le partage d’informations et la coordination des acteurs sur le terrain ». Un « complément d’analyse » a été demandé par les ministres pour vérifier si ces dysfonctionnements sont, ou non, « susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ».
Nouvelles mesures
Le Premier ministre a surtout annoncé « un arsenal de six nouvelles mesures ». Il s’agit en fait, si l’on veut être précis, de la création de trois mesures réellement nouvelles et du renforcement de trois autres déjà existantes.
Ce sont les téléphones grave danger (TGD) et les bracelets anti-rapprochement qui vont être significativement renforcés. Le nombre de TGD, « qui ont fait la preuve de leur efficacité » selon Matignon, va être augmenté de « 65 % » d’ici début 2022, passant de 1 800 à 3 000. Le gouvernement souhaite par ailleurs « élargir encore davantage les situations dans lesquelles ces téléphones sont attribuables ». Quant aux bracelets anti-rapprochement, il s’agit surtout d’accélérer leur déploiement – qui dépend d’une décision de justice. Seulement 147 décisions de cette sorte ont été prononcées à ce jour. Même si Matignon se réjouit de ce que cela constitue « un doublement en un mois », cela reste très peu au regard des besoins réels – surtout quand on sait qu’un millier de bracelets sont à disposition de la justice, dont 85 % sont donc inutilisés.
Le Premier ministre a également annoncé un durcissement législatif du contrôle de la détention et de l’acquisition des armes, et un « renforcement des instances locales de pilotage et de coordination ».
La principale nouveauté vient de la création annoncée d’un « fichier des auteurs de violences conjugales ». On en sait encore peu sur ce nouveau fichier, mais on peut imaginer qu’il sera du même type que le Fijais (fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes). Sauf que le Fijais est appuyé sur les condamnations, alors qu’ici, le Premier ministre évoque un ciblage plus large : ce fichier permettrait de disposer « d’un outil partagé actualisé en fonction des actions policières menées (intervention au domicile, recueil de plainte, main courante…), avec déclenchement de mesures d’accompagnement, de prévention ou de protection soit par la justice, soit par la police ».
Enfin, le Premier ministre a annoncé la création d’une instance nationale « permettant d’associer régulièrement les associations sur les violences faites aux femmes et aux filles », ainsi que celle d’un « comité de suivi de la mise en œuvre des mesures du Grenelle contre les violences conjugales ».
Télécharger le rapport d’inspection sur le féminicide de Mérignac.
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