Débat autour d'une inexorable montée de la pauvreté
L'aggravation de la pauvreté du fait de la crise sanitaire est désormais une évidence. C'est l'un des premiers points que l'on retiendra du débat sur les politiques de lutte contre la pauvreté, organisé mardi 12 janvier, à la demande du groupe Les Républicains.
Diagnostic partagé
Aucune voix dans les travées de l'Assemblée nationale ne conteste ce bilan forcément encore approximatif mais déjà « alarmant » selon Julien Dive, député LR de l'Aisne, ancien maire d'Itancourt : « 8 millions de Français sont obligés d’avoir recours à l’aide alimentaire ; 21 % des Français ont du mal à prendre trois repas par jour ; 20 % des Français peinent à régler la cantine de leurs enfants », énumère-t-il. Le tableau de bord des indicateurs, toujours plus sombres, est complété par les autres intervenants. « En 2021, plus de 300 000 personnes vivent encore dans la rue. En 2021, il y a encore des bidonvilles en France. En 2021, il y a encore plus de 9 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté. En 2021, une crise sanitaire, économique et sociale ravage la France, creuse les inégalités et ne fait qu’accélérer la précarisation des plus modestes », développe Joël Aviragnet, député PS de Haute-Garonne et ancien maire d'Encausse-les-Thermes.
Pas de changement de cap
Face aux critiques sur les mesures du gouvernement jugées insuffisantes (« un plan pauvreté aux ambitions limitées, des primes insuffisantes » ), le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, défend le bilan et les options du gouvernement, et la stratégie de lutte contre la pauvreté, lancée en 2018, renforcée à l'automne 2020. « Ce déterminisme très fort, la perte de l’emploi comme la difficulté d’en trouver un, ainsi que les séparations, tels sont les principaux facteurs de la pauvreté », explique-t-il. D'où l'attachement aux mesures dites « préventives » (dédoublement des classes dans les réseaux d'éducation prioritaire, tarification sociale de la cantine, accueil en crèches), « palliatives » (le plan un jeune une solution), ou « curatives » (le chômage partiel plutôt que la perte d'emploi).
Le revenu universel enterré
Face aux députés qui demandaient un revenu universel, le ministre reste ferme. Qu'il s'agisse de la version proposée par Les Républicains (un « socle citoyen » ), ou de celle visant plus spécifiquement les 18/25 ans (« un minimum jeunesse », « l’aide ponctuelle de 150 euros destinée aux jeunes en difficulté est un premier pas, mais elle ne saurait en rien répondre à la crise durable que subit cette population » ), ces projets ne sont pas à l'ordre du jour. La relance des réflexions autour d'un revenu universel, pourtant engagée par la stratégie de lutte contre la pauvreté mais suspendue en février 2020, n'est plus d'actualité. Pour les jeunes, étudiants, apprentis, intérimaires, le ministre préfère la « garantie jeunes ».
Il reçoit le soutien de la présidente de la commission des Affaires sociales, députée de Côte-d'Or, Fadila Khattabi (LaREM), « une personne qui entre dans le dispositif RSA en est toujours bénéficiaire quatre ans après ». Cela justifie la mise en œuvre du service public de l’insertion et de l’emploi « qui sera déployé dans trente territoires supplémentaires en mars prochain, en plus des quatorze actuellement concernés », précise l'élue.
La part des collectivités
Les échanges ont valorisé le rôle des collectivités locales, tout en portant les projecteurs sur des territoires négligés. Ou leurs manques de moyens (comme La Réunion). « Les collectivités ont besoin de moyens : elles connaissent la réalité du terrain, elles ont des idées, il ne leur manque que les moyens de les appliquer », défend Valérie Six, députée UDI du Nord. « L’aide financière de 100 millions d’euros qui leur est destinée (aux associations) est insuffisante. J’en veux pour preuve que de nombreuses collectivités doivent la compléter par le biais de subventions », interpelle Brigitte Kuster, députée de Paris (LR).
Le ministre ne promet pas le grand soir, « on peut toujours faire mieux et nous ferons en sorte de faire mieux ». Interrogé sur le milieu rural, il renvoie « au volet destiné aux territoires ruraux » de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, et cite « la tarification sociale des cantines scolaires avec un repas à moins de 1 euro » : « quelque 10 000 communes rurales vont dès lors pouvoir proposer une telle tarification ». Plus globalement, Olivier Véran a surtout invité les élus « à contacter (leurs) commissaires régionaux à la lutte contre la pauvreté dans vos territoires. Ils ont besoin de vous et vous verrez que vous avez aussi besoin d’eux. »
Le ministre a enfin dit sa désapprobation aux communes « qui ont mis en place des politiques d’aides sociales conditionnées au comportement de tel ou tel membre de la famille ». « Je ne me sens pas solidaire de tels dispositifs », a t-il conclu, après l'intervention d'une députée de l'Hérault.
Emmanuelle Stroesser
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