Au congrès de l'Unccas, l'inquiétude et la colère
Par Emmanuelle Stroesser
« Après les 10 milliards de crédits non consommés, (...) les 20 milliards d’économies pour le projet de loi de finances en 2025, sans oublier les recommandations de la Cour des comptes qui parle de 50 milliards d’économies à trouver, nous ne pouvons qu’être inquiets ! », lâche Luc Carvounas. Le maire d’Alfortville et président de l’Unccas est loin d’être le seul des 600 congressistes réunis aux Docks du Havre, pendant trois jours, du 27 au 29 mars, à redouter que les dépenses sociales et des collectivités soient « percutées par ces coups de rabot ». L’ambiance est plutôt morose, et l’annonce, mercredi soir, d’une réforme de l’assurance chômage fait craindre à certains une nouvelle crise.
Une succession de crises
Dans les allées du congrès, les maires, adjoints en charge du social et responsables de CCAS, témoignent. Des demandes d’aide qui explosent pour les uns, « + 30 % en 2023 ! » ; des situations « ingérables », pour d’autres, comme la gestion de sans-abris évacués de Paris « pour cause de Jeux olympiques », récupérés à la descente d’un bus et qu’il faut héberger. Une autre élue énumère les difficultés du service d’aide à domicile. Une élue de Mayotte, éprouvée par la situation qui se dégrade depuis des années sur l’île, profite de l’atelier consacré aux crises climatiques pour livrer son désarroi, vis-à-vis de « ces jeunes laissés à la rue », « des enfants déscolarisés », « des cas de choléra qui se multiplient », « des bateaux de migrants qui continuent d’arriver tous les jours » , tandis que le problème de la rareté de l’eau n’est que temporairement résolu… Alors « parler de risque, pour nous c’est une continuité et permanent […] On a pourtant prévenu depuis des années, mais on reste mis de côté » , se désole-t-elle.
Crise sociale, climatique, économique,… Toute la journée de jeudi, les différents intervenants n’ont cessé de décrire leurs incidences et surtout regretté le manque d’envergure des réponses déployées. Ce qui vaut cette réaction de Daniel Golberg, président de l’Uniopss : « Le problème avec le mot crise, c’est qu’il évoque quelque chose de subit, un choc avec un retour possible. Or le changement climatique, par exemple, n’est pas une crise, mais une forme de transformation dans laquelle l’ensemble de la société doit se projeter. Idem pour la crise sociale. Donc notre société doit plutôt prévoir et accompagner plutôt que seulement réparer ».
Dans le baromètre de l’action sociale dévoilé lors de ce congrès, à la question sur les risques auxquels les générations seront exposées, le dérèglement climatique, s’installe comme un risque majeur pour plus de la moitié des Français, suivi de la pauvreté, cité par une personne sur deux. En troisième position, la délinquance (39 %), juste avant la guerre (30 %). Le chômage, pourtant premier sujet de préoccupation il y a quelques années, n’est cité que par moins d’un Français sur cinq (16 %).
Le risque de « porte à faux »
Le président de la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité), Pascal Brice, s’indigne lui aussi : « La pauvreté et la précarité s’installent et s’enracinent. Chez les travailleurs, les femmes, les retraités, les jeunes. De même, une partie de la classe moyenne est fragilisée. La question de l’assistanat ou de l’immigration se posent donc, mais de ces constats, de ce que nous vivons tous les jours, de l’épuisement des équipes – qu’en tirons nous ? une punition collective ? Ou sommes-nous capables de construire quelque chose sur la solidarité ! ».
La question des moyens est bien sûr posée. Dans son message vidéo aux congressistes, le président de l’AMF, David Lisnard, prévient : « Ce travail [auprès des personnes les plus en difficulté] ne peut exister que si nos communes ont les moyens de travailler ! » . Pour les élus, il s’agit autant de moyens financiers que de marges de manœuvre. Pour Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval, co-présidente de la commission sociale de l’AMF, « il faut aussi peut-être redonner un récit qui soit positif, pour contrer les préjugés sur l’action sociale qui coûterait ‘’un pognon de dingue’’… ».
Christophe Bouillon, maire de Barentin, président de l’Association des petites villes de France, veut, lui, insister sur « les choses qui marchent », « l’innovation sociale » et appelle à « faire confiance aux acteurs locaux » . Un message repris par sa collègue maire de Nantes et présidente de France urbaine, Johanna Rolland, qui veut croire aussi « qu’un chemin d’espoir est possible » , à condition d’avoir « un état stratège qui refait de la lutte contre la pauvreté une priorité ».
Quelques annonces à confirmer
Les CCAS vont chercher les rares bonnes nouvelles là où ils peuvent. Ils saisissent donc celle annoncée via un message vidéo par la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, d’une « prochaine rencontre avec les signataires » de la lettre envoyée en janvier 2024, à l’initiative de l’Unccas, et co-signée de l’ensemble des associations d’élus et plusieurs collectifs et fédérations d’acteurs associatifs (lire Maire info du 8 février 2024). « Je suis satisfait de cet engagement que j’attendais », a réagi Luc Carvounas devant la presse.
Autre début de bonne nouvelle, si les CCAS doivent pour l’heure se contenter d’une « petite » loi Bien vieillir, loin de la loi Grand âge attendue depuis des années, la ministre veut « reprendre le sujet » , assure le président de l’Unccas. « C’est la quatrième ministre en deux ans, mais la première, quand elle parle bien-vieillir, qui utilise le même langage que nous, qui pense aménagement de l’espace public, transports, etc. », précise Luc Carvounas à Maire info.
Mercredi, les élus ultramarins ont, eux, appris le dépôt prochain d’une proposition de loi reprenant la première proposition du Manifeste pour les Outre-mer publié par l’Unccas en novembre 2023. Le sénateur du Nord (et ancien président de l’Unccas) Patrick Kanner en sera l’auteur. « Ce n’est qu’un début », reconnait-il puisque la proposition ne traite que de la création d’une « Agence d’évaluation des politiques publiques dans les Outre-mer ». « Mais c’est un acte politique fort », défend-il.
Chantier logement
De son côté, l’UNCCAS va engager un nouveau – et vaste – chantier, sur le logement (de l’hébergement d’urgence aux résidences seniors). Avec un rendez-vous donné le 3 octobre à Montpellier pour une journée de travail. Le congrès a d’ores et déjà servi de caisse de résonance sur plusieurs sujets à creuser. À l’instar du dernier mis sur la table : la réforme de la loi SRU et la priorité mise sur le logement intermédiaire.
« C’est très dangereux ! », s’alarme Emmanuelle Cosse, la présidente de l’Union sociale pour l’habitat, qui « rappelle que cette réforme n’a été demandée par personne, ni les opérateurs ni les associations d’élus ». Isabelle Le Calennec, maire de Vitré, vice-présidente de l’Unccas et de l’AMF, et référente sur ce dossier, acquiesce. « Attention aux décisions qui ont des conséquences très lourdes ! À Vitré, la demande de logements sociaux a été multipliée par trois entre 2019 et 2023, et le taux de satisfaction divisé par 4 ! Il nous faut une stratégie ! », pour construire et rénover « là où sont les besoins ».
Elle conclut, agacée à propos d’une autre réforme annoncée, cette fois sur les attributions de logements sociaux : « Ce n’est pas non plus d’une réforme des attributions dont nous avons besoin mais d’attribuer des logements. Or pour cela... il faut en avoir ! ».
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