Les Français sont « plus tolérants », mais les actes racistes sont plus nombreux que jamais
Par Franck Lemarc
Le 31e rapport annuel de la CNCDH met en avant une donnée qui peut sembler contradictoire : les Français, écrivent les rapporteurs, n’ont jamais été « aussi tolérants », et le « niveau global de tolérance » mesuré par la Commission est « tout à fait inédit ». Et ce, au moment où « 1,2 million de personnes » seraient victimes chaque année « d’au moins une atteinte à caractère raciste ».
Indice de tolérance
Depuis une quinzaine d’années, la CNCDH mesure ce qu’elle appelle « l’indice de tolérance ». La méthode est la suivante : les enquêteurs interrogent un panel représentatif de la population, en posant, chaque année, les mêmes questions, relatives à la sensibilité à tel ou tel préjugé. Une personne qui ne donnerait que des réponses intolérantes obtiendrait la note de 0, tandis que celle qui ne donnerait que des réponses tolérantes obtiendrait la note de 100. L’indice est calculé en faisant la moyenne des notes reçues par l’ensemble des sondés.
De ce point de vue, la situation est plutôt encourageante : l’indice de tolérance a atteint cette année son plus haut niveau depuis que l’enquête existe : alors qu’il se situait à 49 en 1991, il atteint 68 cette année. Les générations les plus jeunes sont plus tolérantes que les anciens : l’indice atteint 71 pour les personnes nées après 1977, tandis qu’il n’est que de 60 pour les personnes nées en 1940 et 1955. Sociologiquement, l’enquête fait apparaître que le niveau de tolérance augmente avec les diplômes (l’indice atteint 73 pour les personnes ayant fait des études supérieures, contre 61 pour les personnes n’ayant qu’un brevet). Mais cet écart se resserre : il était de trente points en 2003, contre douze aujourd’hui. Politiquement enfin, l’indice de tolérance s’élève à 78 chez les personnes qui se définissent « de gauche », contre 52 pour celles qui se disent « de droite ».
Les enquêteurs calculent également un niveau de tolérance au regard de chaque minorité. Il en ressort que les Noirs et les Juifs sont les minorités les plus acceptées en France (avec un indice de tolérance de 80 et 79). Les Musulmans le sont beaucoup moins (62) ; et la minorité la moins bien tolérée est celle des Roms (indice de 52).
Reste que les résultats contiennent un certain nombre de contradictions internes. Si l’on peut se réjouir que 81,5 % des personnes interrogées se disent convaincues « qu’une lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire », il apparaît aussi que près de la moitié des sondés (45 %) pensent que « les Roms vivent essentiellement de vols et de trafics » et 37 % que « les Juifs ont un rapport particulier à l’argent » ! Il y a donc un bon nombre de personnes qui sont à la fois convaincues qu’il faut lutter contre le racisme, et qui ont elles-mêmes des préjugés racistes.
Sous-estimation des actes racistes
Au-delà de cette enquête, la Commission se penche comme chaque année sur l’évolution des agressions et actes à caractère raciste, en s’appuyant sur différentes sources : données statistiques du ministère de l’Intérieur, données remontant de la plate-forme Pharos (plate-forme de signalement en ligne), données du ministère de la Justice.
Les données du SCRT (Service central de renseignement territorial, ministère de l’Intérieur), qui recense les actes racistes et xénophobes à partir des PV des commissariats et gendarmeries, apparaissent en contradiction avec « l’indice de tolérance » : le nombre de « faits racistes » comptabilisés n’a jamais été aussi élevé, puisqu’il atteint 2 128 en 2021 (c’est dix fois plus qu’en 1992). Mais ces chiffres sont, hélas, à relativiser : la Commission rappelle en effet que l’immense majorité des actes à caractère raciste ne donnent pas lieu à une plainte ou une déclaration. Très loin de ces « 2 128 » cas recensés, ce seraient 1,2 million de personnes qui seraient, chaque année, victimes d’au moins une atteinte à caractère raciste (injure, menace, violence ou discrimination). Pour faire diminuer ce qu’elle appelle le « chiffre noir » (l’ensemble des actes racistes non déclarés), la Commission suggère au gouvernement de mieux faire connaître les moyens de porter plainte, d’améliorer l’accueil des victimes venues porter plainte et « mettre en place de manière effective » le dispositif de plainte en ligne.
Points d’attention
De ce volumineux rapport de près de 400 pages, il faut retenir deux « points d’attention » particuliers mis en avant par la CNCDH : la question des habitants des « lieux de vie informels » (élégante expression signifiant « bidonvilles » ) et celle du racisme anti-Roms.
La Commission note que les expulsions de bidonvilles sont en constante augmentation (il y en a eu 1 330 en 2021) et qu’elles ont le plus souvent « des conséquences désastreuses » pour les personnes, et notamment les enfants. En effet, ces expulsions « engendrent en premier lieu des ruptures de scolarisation de plusieurs mois pour les jeunes ». « Ces ruptures entraînent aussi des difficultés pour scolariser à nouveau les enfants, dispersés, perdus de vue par les écoles, les associations et les médiateurs qui les suivaient », insiste la Commission, qui pointe des cas de « refus illégal de certains maires d’inscrire [ces jeunes] dans leur commune, les privant ainsi du droit à l’instruction ». La Commission en profite pour faire la promotion du guide Atout’Scol (« Clefs pour scolariser les enfants en situation de grande précarité » ), élaboré « avec la participation active de l’AMF ».
La Commission préconise donc l’instauration d’une « trêve scolaire », permettant d’éviter toute rupture de scolarisation : « En cas d’expulsion inévitable en raison de danger imminent, la CNCDH recommande que la scolarité des enfants soit prise en compte par les préfectures et les tribunaux en amont de la décision d’expulsion, ainsi que par les maires lorsqu’ils adoptent un arrêté municipal d’évacuation sous 48 heures. Le préfet devrait systématiquement veiller à un relogement adéquat et pérenne des enfants scolarisés et de leur famille et informer les services de l’Éducation nationale afin d’assurer la continuité de la scolarité. »
La CNCDH se penche enfin sur le phénomène de « l’antitsiganisme », estimant qu’il s’agit là « d’une forme de racisme particulièrement persistante, violente, récurrente et banalisée ». Parmi les discriminations dont sont victimes les Roms et les gens du voyage, la Commission cite « les refus trop fréquents de domiciliation administrative, l’inadaptation de nombre d’aires d’accueil (nombre de places insuffisant, cantonnement dans des lieux isolés ou pollués, équipements défectueux) ainsi que la faiblesse du nombre de terrains familiaux ». La Commission demande donc que « les schémas départementaux d’accueil des Gens du voyage soient réellement établis en fonction des besoins au plan quantitatif et qualitatif » et que les aires d’accueil soient systématiquement « mises en conformité ». Elle préconise également, « pour que les gens du voyage jouissent d’un droit au logement effectif », que la caravane soit reconnue « comme un logement à part entière » et non plus seulement comme « un habitat ».
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