Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 6 septembre 2022
Services publics

Piscines : le coup de force de Vert Marine qui scandalise les élus

À la stupéfaction des maires et président d'EPCI concernés, la société Vert Marine, qui gère plusieurs dizaines de piscines et centres aquatiques en délégation de service public, a fermé de façon unilatérale une trentaine d'établissements, depuis hier. 

Par Franck Lemarc

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« Les missions de service public qui nous sont déléguées sont au cœur de notre engagement », peut-on lire sur le site de la société Vert marine, leader en France de la gestion déléguée d’équipements sportifs en particulier aquatiques. La société gère quelque 80 équipements dans une soixantaine de collectivités, et emploie 2 000 salariés. 

Mais cet « engagement »  vanté par l’entreprise ne l’a pas empêchée de fermer de façon unilatérale une trentaine de piscines, lundi matin, après s’être contenté de prévenir les collectivités par mail, vendredi soir (à minuit pour certaines !). Une façon de faire qui a stupéfié les maires concernés. 

Facture énergétique multipliée par six

C’est évidemment l’explosion des prix de l’énergie qui est au cœur de ce dossier. Dans un communiqué, transmis à l’AFP mais non disponible sur le site de la société, Vert Marine explique qu’elle ferme une trentaine d’équipements « pour une durée temporaire »  et place les salariés concernés en chômage partiel, parce qu’elle ne peut faire face à l’explosion du prix de l’énergie et en particulier du gaz. La société explique que sa facture énergétique est passée « de 15 à 100 millions d’euros », ce qui représente « la totalité de (son) chiffre d’affaires annuel », et qu’elle préfère fermer des équipements plutôt que de « multiplier les tarifs par trois »  – ce dont on ne voit pas bien comment elle pourrait le faire sans l’aval de la collectivité concédante, puisque, rappelons-le, il s’agit là de délégations de service public. Vert Marine a expliqué à l’AFP qu’elle en appelle « aux instances locales et gouvernementales afin de prendre les décisions nécessaires et inédites pour revenir à des coûts supportables de l’énergie et permettre d’assumer les obligations de service public, et en premier lieu l'apprentissage de la natation notamment en milieu scolaire ». 

Interrogé par France info, le patron de Vert Marine, Thierry Chaix, assume la méthode choisie : « Prendre une mesure d’urgence pour discuter ensuite ». Il demande, notamment, de pouvoir « être rattaché au contrat des collectivités, qui touchent l’énergie moins cher que nous ». Cette dernière affirmation reste à prouver, puisqu’il faut rappeler que les collectivités locales ne bénéficient d’aucun bouclier tarifaire. 

Des maires stupéfaits

Les équipements aquatiques gérés par Vert Marine sont donc fermés dans une trentaine de communes, dont Rivelsaltes, Meudon, Versailles, Saint-Geours-de-Maremme, Nîmes, Granville, Bourg-de-Péage, Saint-Jean-de-Monts, Limoges, Saint-Dizier ou Armentières… Avec partout la même manière de procéder. À Meudon, explique la commune dans un communiqué, la mairie a été prévenue par mail « vendredi à minuit ». Le délégataire « a mis la ville devant le fait accompli », et « cette décision brutale laisse la municipalité et les usagers déconcertés ». Même stupéfaction à Limoges, dont un des vice-présidents de la métropole, Fabien Doucet, a été prévenu « vendredi à 22 heures ». À Mantes-la-Jolie (Yvelines), c’est encore pire : le maire, a été prévenu lundi matin ! Dans la presse locale, il explique aujourd’hui souhaiter établir « un audit juridique de la délégation [de service public] pour connaître les droits et devoirs du délégataire qui, par définition, est là pour supporter les risques à la place de la collectivité ». Quant au maire de Versailles, il dit être « tombé de l’armoire »  quand il a découvert le mail de Vert Marine, vendredi soir : « On n'en revenait pas, le directeur de l’établissement n’était même pas au courant, c’est hallucinant », déclarait-il hier dans Libération. 

La palme revient sans doute à la commune de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, dont le maire, Bernard Morilleau, explique ce matin à Maire info avoir été prévenu… « par les usagers, qui sont arrivés à la piscine lundi et ont trouvé une affichette A4 sur la porte expliquant que la piscine était fermée ». Le maire a eu les responsables de Vert Marine au téléphone, qui lui ont expliqué « vouloir faire pression sur les élus et le gouvernement ». Ils ont proposé une rencontre – qui aura lieu cet après-midi – aux élus de l’intercommunalité, qui a la compétence sur l’équipement. « Moi, je préfère qu’on discute avant, tempête le maire. Ils prennent une décision aussi forte, sans nous prévenir, et après ils viennent discuter… ». La situation paraît d’autant plus incompréhensible que l’équipement en question est chauffé… au bois. « Nous avons fait de gros investissements, et 80 % des besoins énergétiques de l’équipement sont assurés par une chaudière bois, pas par le gaz. Alors ? ».

L’intercommunalité « réfléchit »  à une action juridique : « C’est quand même une prise en otage des usagers et une remise en cause du service public, alors qu’on a un contrat qui nous lie ! ». 

« On maltraite les usagers du service public » 

À Bourg-de-Péage (Drôme), la maire Nathalie Nieson, par ailleurs membre du Bureau de l’AMF, ne décolère pas. « Je ne discute pas du fond, explique-t-elle à Maire info, les problèmes d’explosion des coûts de l’énergie sont bien réels, mais je ne m’explique pas quel processus intellectuel étrange peut conduire à agir de cette façon. Aucune concertation, aucune discussion, on ferme du jour au lendemain, sans nous laisser le temps de nous organiser. C’est tellement brutal ! ». L’élue estime que face aux problèmes qu’il rencontre, le délégataire aurait pu « appeler les collectivités, discuter, essayer de trouver des solutions sur chaque territoire. Au lieu de ça, on ferme la porte, on met une affiche, et on maltraite les usagers du service public ». 

L’intercommunalité se tournera-t-elle vers une action juridique ? « Nous y réfléchissons. Ils nous ont mis devant le fait accompli, on est bien obligé de se défendre, et on sera peut-être amenés à leur réclamer les pénalités qu’ils méritent. »  La maire s’interroge, au passage, sur les motivations de la société. « Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très malin de leur part. Rompre ainsi le pacte de confiance avec les collectivités… Vert Marine obère son propre avenir, vous imaginez ce qui se passera la prochaine fois qu’elle répondra à un appel d’offres ? ». 

En attendant, la mairie essaye de s’organiser en urgence pour répondre à la situation, « notamment pour trouver une solution de repli pour nos scolaires ». « Franchement, c’est affligeant », conclut la maire. 

Selon nos informations, les dirigeants de Vert Marine devraient être reçus à Bercy en milieu de semaine. Quant à l’AMF, elle rappelle ce matin qu’elle avait alerté le gouvernement dès le mois de juillet sur les risques de fermetures de piscines et demande que ce sujet puisse être examiné au niveau national, afin de de mettre en œuvre des solutions, telles la suppression de l’obligation des vidanges.
Le groupe de travail Sport se réunira jeudi 15 septembre pour identifier des propositions en matière de sobriété énergétique.

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