Qu'est-ce que la nouvelle doctrine « Villes de sécurité renforcée » du ministre de l'Intérieur ?
Par Franck Lemarc
Cette circulaire a été envoyée le jour même où une grenade était lancée dans un bar associatif de Grenoble, faisant 15 blessés, dont six graves. Si l’auteur de cet attentat n’a pas été retrouvé et ses motivations sont donc inconnues, les autorités évoquent la possibilité d’un acte liée au trafic, dans une agglomération grenobloise particulièrement touchée par l’accroissement de la violence.
Dans ce contexte, Bruno Retailleau a écrit aux préfets de région et de département pour leur demander de mettre en œuvre une nouvelle stratégie face à une montée de la violence qui constitue, pour lui, une « menace existentielle pour la République ». Cette stratégie est qualifiée de « double lame », référence étonnante à une célèbre publicité pour un rasoir : la première lame « s’attaque au narcotrafic qui gangrène de nombreuses villes en France », tandis que la deuxième permettrait « de lutter de façon efficiente contre le bas du spectre de la délinquance ».
Dans le sillage des opérations « place nette »
Dans un certain nombre de villes, particulièrement touchées « par des violences et l’utilisation d’armes à feu dans les quartiers », une action « volontariste renforcée » sera menée en « actionnant tous les leviers mis à disposition des préfets ». Si Bruno Retailleau a annoncé le 15 février que Grenoble ferait partie de ces villes, la liste des communes concernées n’a pas été diffusée pour le moment. Seuls les critères permettant de les définir sont donnés dans la circulaire : il s’agit de villes cumulant quatre critères : un « enkystement du trafic de stupéfiants », une « concentration des faits de délinquance sur un territoire réduit », « l’existence de troubles récurrents à l’ordre public » et « la présence d’une immigration irrégulière et de repli communautaire ». L’intégration de ce quatrième critère dans la doctrine peut surprendre, dans la mesure où il semble lier de façon automatique – il s’agit bien de critère « cumulatifs » – le narcotrafic et la violence à la présence d’immigrés en situation irrégulière.
Cette doctrine baptisée « Villes de sécurité renforcée » ne constitue pas « un nouveau label », précise le ministre de l’Intérieur. Elle est un prolongement des opérations dites « place nette » instaurées par Gérald Darmanin, et vise à « inscrire (celles-ci) dans la durée ». L’objectif est de permettre aux préfets de « reprendre le contrôle de la voie publique et obtenir des résultats visibles et durables ».
Quatre axes sont définis par le ministre : le démantèlement des filières, l’occupation de l’espace public, la mobilisation des « instruments administratifs » et la saisie du patrimoine des délinquants.
« Occuper l’espace public »
C’est sur le deuxième et le troisième axes, l’occupation de l’espace public et la mobilisation des instruments administratifs, que les maires pourraient être amenés à être associés – les autres axes concernant essentiellement l’appareil judiciaire, le renseignement, les services fiscaux, etc.
Le ministre demande aux préfets, dans les villes concernées, d’occuper de manière « prolongée » et visible la voie publique « afin d'empêcher les délinquants de se réimplanter et de pousser au maximum la déstabilisation des équipes de malfaiteurs ». Il liste un certain nombre d’actions qui doivent être systématisées : contrôles et fouilles des caves et parties communes, contrôles dans les transports en commun, fouilles des véhicules et contrôles routiers, utilisation de drones, implantation de commissariats mobiles… En lien avec les communes, il sera procédé à des opérations « d’effacement des tags et d’enlèvement des carcasses de véhicules et d’encombrants » liés aux trafics.
Pour ce faire, les préfets mobiliseront les « effectifs locaux » mais pourront également faire appel à « des moyens spécialisés » ou à des unités de forces mobiles, en tant que de besoin.
Par ailleurs, le ministre compte sur une mise en œuvre rapide des moyens prévus par « la proposition de loi narcotrafic votée au Sénat » (lire Maire info du 30 janvier) – ce qui suppose tout de même qu’elle soit adoptée par le Parlement, ce qui n’est pas encore fait. Cette loi, si elle est adoptée, permettra notamment « l’interdiction de paraître sur des points de deal, la fermeture de commerces en lien avec le trafic de stupéfiants, le gel administratif des avoirs, etc. ».
En attendant, d’autres instruments peuvent être utilisés contre les personnes soupçonnées d’être impliquées : « demandes de fermeture de débits de boissons ; fermeture pour raison d'hygiène, amendes, signalement des escroqueries aux prestations sociales ou à Pôle emploi avec suivi effectif des mesures à prendre pour faire interrompre et récupérer le versement des prestations indues, signalement à l'Education nationale des non-respects de scolarité, etc. ».
Avec les maires, il pourra être discuté de mesures d’aménagement urbain permettant de « déstabiliser les délinquants » : « Vidéoprotection, éclairage, circulation facilitée ou au contraire rendue impossible, facilitations d'occupation de l'espace public pour des activités diverses, etc. »
Polices municipales
Enfin, le ministre demande aux préfets de « mobiliser » les autres acteurs du « continuum de sécurité », dont les polices municipales, à propos desquelles il faudra instaurer « un dialogue constructif (sur) les horaires et lieux de présence de ces agents ».
On notera que, là encore de façon quelque peu précipitée, le ministre de l’Intérieur appelle les préfets à « mettre à profit les pouvoirs bientôt étendus dans le cadre du Beauvau des polices municipales ». Les « pouvoirs étendus » dont parle ici le ministre font référence à l’idée, très débattue ces dernières années, de donner des pouvoirs de police judiciaire à certains agents des polices municipales, ce qui supposerait de les placer, au moins en partie, sous l’autorité du procureur et non plus du maire.
Si les décisions sont prises sur ce sujet, au point de dire d’ores et déjà aux préfets qu’ils pourront « bientôt » les « mettre à profit », on se demande bien à quoi va servir la concertation annoncée lors de ce Beauvau. Ni les travaux de préparation techniques qui sont actuellement menés entre les représentants des élus et ceux de l'État, dont la tonalité générale semble bien plus prudente.
Mais même si le Beauvau permettait d’aboutir à un accord sur ce point, le « bientôt » utilisé par le ministre dans sa circulaire est un peu exagéré, puisque pour entrer en vigueur, une telle disposition nécessiterait évidemment de changer la loi.
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