Maire-info
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Édition du mercredi 18 novembre 2020
Sécurité

Le Livre blanc de la sécurité intérieure relance le débat sur la répartition police-gendarmerie

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© Min. de l'intérieur

Le très attendu Livre blanc de la sécurité intérieure a été publié hier par le ministère de l’Intérieur. Paru très tard dans le quinquennat, alors qu’il devait en être la pierre angulaire sur le chapitre de la sécurité, ce texte aborde la question du rôle du maire et celle, extrêmement sensible, d’une refonte des zones police et gendarmerie. 

« Maires défaillants » 
C’est en septembre 2017 que le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérard Collomb, annonçait la publication de ce Livre blanc. Trois ans, quatre groupes de travail et une centaine d’assises territoriales plus tard, le texte a été diffusé hier, riche de 200 propositions… dont toute une partie figure déjà dans le projet de loi Sécurité globale dont l’examen a commencé hier à l’Assemblée nationale. 
 C’est le cas, notamment, pour les propositions du Livre blanc qui touchent au « rôle du maire »  dont certaines se retrouvent dans le projet de loi, notamment sur les polices municipales, dont le gouvernement souhaite élargir les prérogatives, ou la volonté d’aller vers davantage d’intercommunalisation. 
Néanmoins, le Livre blanc préconise aussi de réfléchir à certaines idées qui ne sont pas dans le projet de loi Sécurité globale, et qui posent questions. En particulier, la proposition figurant en page 134 du Livre blanc, consistant à « donner aux préfets un pouvoir de substitution effectif »  au maire dans le cas où celui-ci serait jugé « défaillant », ou en cas « d’inaction du maire dans le domaine de la sécurité ». La proposition n’est guère plus précise, mais telle quelle, elle a de quoi faire sursauter tous ceux qui pensent que la libre administration des collectivités territoriales n’est pas simplement un mot en l’air, mais une obligation constitutionnelle. Que signifierait un « maire défaillant » ? Qui en jugerait ? Où commencerait et où finirait la notion « d’inaction du maire » ? Autant de questions auxquelles les maires vont certainement attendre des réponses rapides du gouvernement.

Répartition police-gendarmerie : vers de nouvelles règles ?
Autre sujet ultra-sensible abordé dans le Livre blanc : la répartition des zones police et gendarmerie. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, semble décidé à rouvrir cette boîte de Pandore, comme il l’a déclaré dans Le Parisien du 14 novembre : « Il y a une mauvaise répartition entre police et gendarmerie sur le plan national. »  Estimant qu’il faut aller « sans tabou vers une organisation plus efficace », l’ancien maire de Tourcoing fustige une organisation qui deviendrait obsolète dans la mesure où « les agglomérations se sont étendues ». 
Le Livre blanc confirme ces orientations : il y est développé l’idée que la traditionnelle répartition (police dans les zones urbaines denses, gendarmerie ailleurs) serait de moins en moins adaptée : « L’urbain ne s’oppose plus au rural, les métropoles s’affirment tout en s’inscrivant dans des systèmes urbains bien plus larges où villes-centres et périphéries sont interdépendantes. L’émergence des intercommunalités et des regroupements de communes (communes nouvelles, communes-communautés) supplante le modèle communal ancien sur lequel la répartition des forces est basée. » 
Le Livre blanc préconise donc de revoir les seuils et d’instaurer une nouvelle règle : « En dessous de 30 000 habitants, le principe serait de confier le territoire à la gendarmerie. Entre 30 et 40 000 habitants, attribution à la force la mieux adaptée aux caractéristiques de ce territoire et au-dessus de 40 000 habitants principe de compétence de la police nationale. »  Tout en laissant, de toute façon, au ministre de l’Intérieur « la faculté de s’écarter de ces principes ». 
Ce chapitre du Livre blanc insiste sur l’idée que dans les zones urbaines denses et les zones rurales très peu denses, la question de la répartition ne se pose pas. Mais qu’en revanche, elle est plus complexe dans « le périurbain », où « les distinctions tendent à s’amenuiser » : « D’un périurbain à l’autre, police et gendarmerie seront alternativement en mesure d’apporter la réponse sécuritaire optimale. »  Les auteurs du Livre blanc appellent donc à « dessiner une carte rénovée de la répartition territoriale », qui pourrait, dans certains cas extrêmes, aller jusqu’à « transférer à la gendarmerie nationale l’intégralité de la compétence territoriale sur certains départements ». 

La question essentielle de la concertation avec les maires
Toutes ces réflexions n’apparaissent évidemment pas absurdes. Mais, comme le rapport lui-même le souligne, cette nouvelle répartition ne pourra se faire sans l’adhésion des élus locaux, et en particulier des maires. « La consultation préalable des élus locaux concernés par une opération de redéploiement des forces de l’ordre est d’ailleurs posée comme un postulat dans chacune des contributions écrites émises par l’Association des maires de France », souligne le Livre blanc. 
Sauf que pour l’instant, la concertation n’est pas encore au rendez-vous. Témoin ce qui se passe en ce moment autour de Toulouse, où les élus ont eu la surprise de se voir cités dans l’interview donnée par Gérald Darmanin au Parisien (« dans l'agglomération de Toulouse, il y a quatre villes sous l'autorité de la police, et tout le reste de la zone, très urbanisée, sous le contrôle de la gendarmerie » ) comme exemple de ce qui ne fonctionne pas. Dans la presse locale, plusieurs maires des communes de l’agglomération toulousaine se montrent stupéfaits d’apprendre que la réflexion sur le redécoupage serait engagée alors qu’eux-mêmes sont parfaitement « satisfaits de la gendarmerie »  et ne voient aucune raison d’en changer, la gendarmerie étant « plus appropriée à la physionomie de (leurs) territoires ». Ces maires, toujours selon la presse locale, envisagent de « se fédérer »  et d’intervenir auprès du préfet. 
Un premier épisode déjà tendu, qui met en lumière, dans ce débat sensible, l’absolue nécessité de la concertation, très en amont, entre les services de l’État et les maires.

Franck Lemarc

Télécharger le livre blanc sur la sécurité intérieure. 

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