Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 21 juin 2022
Sécurité

Sécurité des ponts : en attendant la catastrophe...

Trois ans après l'appel du Sénat à un « plan Marshall » pour sécuriser les ponts, un nouveau rapport sénatorial estime que le compte n'y est pas et que « la dégradation des ponts se poursuit », sans que l'État accepte pour l'instant de mettre les moyens nécessaires.

Par Franck Lemarc

Le 14 août 2018, l’effondrement du pont Morandi, à Gênes, en Italie, faisait 43 morts. Dans la foulée de ce drame, le 3 octobre de la même année, le Sénat lançait une mission d’information sur la sécurité des ouvrages d’art gérés par les collectivités en France – sur les quelque 200 000 ponts en France, 170 000 sont gérés par les collectivités, dont 100 000 par le bloc communal. 

« Plan Marshall » 

Quelques mois plus tard, fin juin 2019, le sénateur Hervé Maurey rendait un premier rapport sur l’état « alarmant »  des ponts dans le pays et exigeait « un plan Marshall sur dix ans pour éviter un drame ». Dans le rapport, le sénateur estimait que « au moins 25 000 ponts sont en mauvais état structurel »  et mettait le doigt sur une étonnante lacune : personne ne connaît le nombre exact de ponts en France. Une enquête lancée par le Sénat auprès des maires et présidents d’intercommunalité révélait que « 37 % des élus répondants disent ne pas avoir de connaissances sur l’état des ponts de leur collectivité et 73 % ne disposer d’aucune base de données de recensement de leurs ouvrages d’art »  (lire Maire info du 28 juin 2019). 

Les sénateurs dénonçaient alors le « sous-investissement chronique »  dans l’entretien des ouvrages d’art et les « insuffisances de l’action publique ». Ils demandaient un financement de plus d’un milliard d’euros sur dix ans, avec pour premiers objectifs d’établir un état des lieux précis et de remettre en état rapidement les ponts les plus dégradés. 

Pour ce qui est de l’état des lieux, un programme (Programme national ponts ou PNP) a été lancé par le Cerema en avril 2021 (lire Maire info du 30 avril 2021). L’organisme proposait alors à près de 30 000 communes (selon des critères démographiques et de potentiel fiscal) de recenser et diagnostiquer leurs ouvrages d’art. 

Situation pire que prévu

Où en est-on aujourd’hui ? C’est la question à laquelle a voulu répondre le sénateur de la Vienne Bruno Belin, dont la synthèse du rapport a été rendue publique la semaine dernière (le rapport lui-même n’est pas encore publié). Le sénateur alerte sur « l’urgence d’une action publique plus ambitieuse », et corrige à la hausse les constats déjà sombres faits par Hervé Maurey en 2019 : « En 2019, la commission avait estimé à plus de 25 000 le nombre de ponts en mauvais état structurel posant des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers. Trois ans plus tard, ce chiffre doit malheureusement être réévalué à la hausse : en réalité, 30 à 35 000 ouvrages seraient en mauvais état structurel. »  Ce « mauvais état structurel »  concernerait « 23 % des ponts du bloc communal »  et non 18 à 20 % comme on le pensait en 2019. 

Le sénateur dénonce la lenteur des moyens mis en œuvre par l’État : l’enveloppe dédiée par l’État a certes fini par atteindre la somme de 120 millions d’euros pour 2022, mais il était prévu qu’elle atteigne ce seuil il y a deux ans déjà. Quant au Programme national ponts du Cerema, il présente certes « une réelle avancée », mais « force est de constater que les moyens déployés ne sont pas à la hauteur des enjeux pour enrayer la spirale de dégradation des ponts gérés par les collectivités territoriales. Pire, ces moyens ne permettront même pas au programme d’atteindre ses objectifs » : seulement 40 millions d’euros ont été déployés sur trois ans, soit 350 millions de moins que ce qui était prévu. En conséquence, « seulement 3 % des ouvrages les plus dégradés »  vont bénéficier d’une étude approfondie. Mais plus grave encore, « aucun financement n’est prévu pour accompagner les collectivités »  qui vont avoir besoin de réparer, voire reconstruire des ponts.  

Or le Sénat estime que les besoins de financements du seul bloc communal va se situer, sur ce dossier qu’il baptise « le chantier du siècle », entre 2,2 et 2,8 milliards d’euros. 

Propositions

Les sénateurs font donc un certain nombre de propositions pour que le problème puisse enfin être pris à bras-le-corps, à commencer par la constitution d’un « fonds pérenne »  pour accompagner les collectivités – fonds qui serait doté au départ de 350 millions d’euros. Les rapporteurs demandent également que les moyens consacrés par l’État à l’entretien des ponts du réseau national soient maintenus « à un rythme de croisière »  de 120 millions d’euros par an. 

Par ailleurs, ce qui paraît tout de même de bon sens, les sénateurs demandent que les dépenses de maintenance des ouvrages d’art soient intégrées dans la section investissement des collectivités territoriales, pendant une période de dix ans, et non dans la section fonctionnement comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui interdit aux collectivités concernées de profiter du FCTVA. 

En matière d’information et de recensement, les sénateurs proposent que soit constitué dans les trois ans un système d’information géographique (SIG) national « recensant l’ensemble des ouvrages d’art du territoire national ». 

Reste à savoir si ces propositions seront suivies d’effet ou s’il faudra, une fois encore, attendre un nouveau drame pour que l’État décide de mettre les moyens suffisants dans ce dossier particulièrement alarmant. 

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