Maire-info
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Édition du lundi 27 février 2023
Urbanisme

Sécheresse : des maires du Var gèlent les autorisations d'urbanisme

C'est une décision inédite qui a été prise par des maires du pays de Fayence, dans le Var : geler pendant cinq ans les autorisations d'urbanisme, pour ne pas risquer d'être en situation de ne plus pouvoir fournir l'eau aux nouveaux arrivants.

Par Franck Lemarc

Alors que l’hiver 2022-2023 est, selon le ministre Christophe Béchu, le plus sec « depuis 1959 », et que le mois de février va se terminer « avec un déficit pluviométrique de plus de 50 % »  selon Météo France, des maires du Var ont pris une décision qui sonne comme un appel au secours. 

« Plan Marshall » 

Dans ce département, plus de 80 communes ont déjà été déclarées en alerte sécheresse, ce qui est totalement inédit à cette période de l’année. L’ensemble du département a été placé en « vigilance sécheresse »  par le préfet le 17 février. Dans cet arrêté, le préfet Evence Richard demande aux particuliers de « limiter leur consommation »  et aux maires de chercher à tout prix à « lutter contre les fuites sur les réseaux d’eau potable et d’eau brute ». Les maires sont invités à « porter à la connaissance de leurs administrés les économies d’eau pouvant être réalisées »  et peuvent, « sur le fondement de la salubrité et de la sécurité publiques, prendre par arrêté des mesures de restriction (…) contraignantes ».

Une mesure contraignante, c’est en effet ce qu’on décidé les maires des neuf communes du canton de Fayence, à l’est du département : ils ont annoncé – parmi d’autres mesures – geler toute demande nouvelle de permis de construire pour cinq ans. 

La communauté de communes du Pays de Fayence s’est penchée sur cette question lors de sa séance du 31 janvier lors de laquelle, selon le compte rendu publié sur le site de l’intercommunalité, elle a adopté un « plan Marshall »  pour la sécurisation de l’alimentation en haut du territoire. Anticipant un risque très important de « pénurie », les élus ont choisi de mettre en œuvre « une forte restriction des usages décidée de manière coordonnée par les maires du territoire, bien au-delà des arrêtés préfectoraux ». Un « plan d’action »  a été voté, incluant des actions de recherche et de réparation des fuites, de modernisation des réseaux, de nouveaux forages… mais aussi de « maîtrise de l’urbanisme ». 

Maîtrise de l’urbanisme

En effet, peut-on lire dans le compte rendu, « la population permanente et touristique du Pays de Fayence est en augmentation » : 1000 logements ont été autorisés ces dernières années « mais non encore construits ». Face à cette poussée démographique, les élus craignent que « les coupures deviennent la norme en période estivale mais aussi en hiver ». 

D’où la décision radicale de geler les autorisations d’urbanisme pendant les cinq ans à venir. Le maire de Montauroux, Jean-Michel Huet, s’est clairement expliqué dans la presse : les permis de construire déjà signés seront « assumés et honorés », mais aucune nouvelle autorisation ne sera accordée. « Il faut aujourd'hui que l'on arrête de bâtir. Ne serait-ce que parce qu'il vaut mieux dire à quelqu'un de ne pas venir chez nous si on est pas capables de lui donner de l'eau, plutôt que de lui dire de venir chez nous et qu'un jour, il n'ait pas d'eau à son robinet. » 

Cette décision a, naturellement, été accueillie avec fraîcheur du côté des fédérations du BTP, comme celle du Var, dont le président Jean-Jacques Castillon a jugé ce gel des permis de construire « dramatique »  pour l’emploi. 

Fragilité juridique

La préfecture du Var a indiqué, sans plus de précision, qu’elle « accompagne »  cette décision, sans que l’on sache pour l’instant ce qui ressortira du contrôle de légalité. 

Car la décision apparaît fragile juridiquement, notamment parce qu'en droit, un tel gel ne peut excéder deux ans. Le refus d’un permis de construire, en théorie, ne peut intervenir qu’en cas de non-respect des règles fixées par les documents d’urbanisme d’une commune (plan d’urbanisme, carte communale ou document d’urbanisme en tenant lieu). La jurisprudence est particulièrement peu claire sur le sujet, et il paraît certain que la décision des maires du pays de Fayence va se heurter à des contentieux – tout refus d’une autorisation d’urbanisme pouvant faire l’objet d’un recours gracieux ou contentieux. 

En attendant, le débat sur cette question a été relancé par le député UDI des Vosges Christophe Naegelen, qui a déposé fin novembre dernier une proposition de loi « visant à préserver les ressources en eau des communes » .

Une proposition de loi pour ouvrir le débat

Ce texte, rédigé après la sécheresse de l’été 2022, pose le principe que les mesures d’urgence (restrictions) ne suffisent plus, et qu’il est indispensable de passer désormais à la « prévention », qui passe par une maîtrise du foncier, notamment dans les communes touristiques. 

« Le tourisme fait partie des activités qui ont un impact important sur les ressources en eau de nos communes » , rappelle le député dans l’exposé des motifs de son texte. Or les communes, en l’état actuel de la législation, « ne peuvent pas faire autre chose pour pallier les désagréments du manque d’eau que d’améliorer le réseau de distribution » . Christophe Naegelen juge donc nécessaire de permettre aux communes de « pouvoir limiter l’implantation de nouvelles constructions destinées au tourisme (…) pour faire face aux défis à venir en termes de gestion de l’eau et de l’environnement ». 

L'article unique de sa proposition de loi vise donc à « doter les maires des communes ne disposant pas d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale, du pouvoir d'autoriser ou d'interdire les nouvelles constructions lorsque celles-ci présentent un risque pour l'équilibre des ressources en eau de la commune et son environnement. » 

On le voit, si le député dit vouloir viser principalement les nouvelles constructions « destinées au tourisme » , la rédaction de son texte est bien plus large et concerne « toute nouvelle construction ». 

Il est à espérer que ce texte sera discuté rapidement au Parlement, ce qui aurait l’avantage de lancer le débat sur cette question, de savoir comment le gouvernement accueille ce type de décisions, et d’envisager des mesures fortes, adaptées à une situation pour l’instant exceptionnelle mais qui, de l’avis des experts, pourrait devenir tristement habituelle. 
 

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