Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 21 juin 2024
Santé publique

Retour de la régulation dans les centres de santé :  quelles conséquences pour les collectivités ?

Un décret « visant à améliorer l'encadrement des centres de santé » a été publié ce matin, en application de la loi Khattabi du 19 mai 2023. Il s'agit de revenir sur la dérégulation de ce secteur, qui a eu des conséquences parfois catastrophiques pour certains patients.  

Par Franck Lemarc

Depuis plusieurs années, des officines privées de soins dentaires ou ophtalmologiques se développent partout, jusque dans les petites communes. C’est la conséquence de la dérégulation du secteur, qui a commencé en 2009 avec la suppression de l’agrément obligatoire avant l’ouverture de centres de santé, suppression contenue dans la loi Bachelot dite Hôpital patients santé et territoires (HPST). Au nom de la lutte contre la désertification médicale, il est devenu possible d’ouvrir un tel centre sans l’agrément des autorités de santé. Mais la loi Bachelot fixait tout de même une limite importante : une telle ouverture n’était autorisée que pour les établissements à but non lucratif. 

Cette digue a sauté en 2018, quand la ministre de la Santé Agnès Buzyn prend une ordonnance ouvrant le secteur aux établissements privés à but lucratif… et toujours sans agrément obligatoire. Résultat : une explosion des ouvertures de centres dont certains étaient bien loin de remplir les exigences minimales de professionnalisme, avec à la clé un certain nombre de scandales – surtraitements, surfacturations, voire mutilation de patients dans des centres dentaires… Agnès Buzyn dira par la suite, dans l’émission Compléments d’enquête, avoir regretté sa décision : « Je n’ai pas imaginé qu’il y aurait de telles dérives », avouera-t-elle, ni que « certains qui ne sont même pas médecins ouvrent des centres de santé » …

La loi Khattabi

Face aux dérives et aux scandales, la majorité a présenté en 2022 une proposition de loi pour remettre en place une forme de régulation : la proposition de loi de Fadila Khattabi et Aurore Bergé, adoptée au printemps 2023, rétablit l’obligation d’agrément avant ouverture d’un centre de santé ayant une activité dentaire, ophtalmologique ou gynécologique, au vu de « la concentration des dérives dans ce type de centres », et impose aux centres existant avant l’adoption de la loi de déposer une demande d’agrément. 

Cette loi impose un certain nombre de mesures de bon sens – dont le plus surprenant est surtout qu’elles n’aient pas été en vigueur plus tôt – comme l’obligation pour le gestionnaire de transmettre à l’ARS une copie des diplômes et du contrat de travail des praticiens exerçant dans le centre ! 

La loi a instauré un certain nombre de mesures de contrôle, notamment sur les conflits d’intérêt, et durcit les conditions pouvant mener à la fermeture d’un centre. 

Enfin, elle impose la création, dans les centres dentaires et ophtalmologiques, d’un « comité médical », « responsable de la politique d'amélioration continue de la qualité, de la pertinence et de la sécurité des soins », et impliquant le personnel et les usagers. 

Pas d’accompagnement financier pour les communes et intercommunalités

Le décret paru ce matin au Journal officiel détaille les modalités d’application de cette loi, en particulier sur le contenu des dossiers d’agrément et les mesures de contrôle. Il définit également les détails opérationnels du fonctionnement des comités médicaux, qui devront se réunir quatre fois par an. Il est précisé qu’il revient au gestionnaire du centre de santé de « fournir au comité les moyens logistiques nécessaires à la conduite de ses missions ». 

Les collectivités locales sont naturellement concernées par ces mesures, parce qu’au-delà des centres à but lucratif plus ou moins sérieux, un tiers des 2 500 centres de santé du pays est géré directement par une commune ou une intercommunalité. Il reviendra donc à ces communes et intercommunalités de « fournir les moyens logistiques »  permettant le fonctionnement des comités médicaux. 

Lors de l’examen de ce décret par le Conseil national d’évaluation des normes, début juin, l’AMF a exprimé certaines « réserves ». Elle a notamment demandé au ministère quelle serait la responsabilité du gestionnaire (par une exemple une commune) si aucun agent du centre de santé ne souhaite s’investir dans le comité. Les représentants du ministère de la Santé ont répondu qu’il revient bien au gestionnaire de « créer un cadre propice à l’engagement des agents du centre dans cette activité ». Une réponse qui n’a guère rassuré l’AMF. 

Par ailleurs, l’association a demandé si un accompagnement financier était prévu pour aider les communes et intercommunalités à fournir les moyens logistiques des comités médicaux. La réponse est non. 

Dans ces conditions, les représentants des élus ont donné un avis favorable au décret, mais « avec réserves » 
 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2