Reconnaissance des maladies professionnelles : la Cour des comptes déplore une inégalité de traitement entre territoires
Par A.W.
Procédure longue et complexe, données lacunaires, inégalités de traitement non justifiés entre territoires ou encore entorse au secret médical. Dans une enquête sur la reconnaissance des maladies professionnelles (couvrant le régime général, le régime agricole et la fonction publique) publiée vendredi, la Cour des comptes tacle un système qu'elle estime défectueux.
Et celle-ci formule une série de recommandations visant notamment à « la simplification de la procédure », qui « gagneraient à être également mises en œuvre dans le régime agricole et dans la fonction publique ».
Les sous-déclarations, un « phénomène massif »
De manière générale, les procédures d'indemnisation des maladies professionnelles sont ainsi trop longues et complexes, quel que soit le régime de sécurité sociale concerné, juge la Cour. Ce qui entraîne un certain découragement chez les patients.
« La complexité du dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles et les contraintes liées aux procédures n’en facilitent pas l'appropriation par les médecins et peuvent décourager de nombreuses victimes », résume-t-elle, en citant la nécessité de réunir de nombreux documents sans possibilité de le faire numériquement.
De plus, les maladies professionnelles doivent donner lieu à une indemnisation quand la situation du patient correspond à un tableau préétabli (incluant notamment la nature de la pathologie et les professions à risque), mais ces tableaux, au nombre de 121 dans le régime général de l'Assurance maladie et la fonction publique, sont mal mis à jour. Il n'en existe notamment pas pour les troubles psychosociaux. Et l’autre voie, dite complémentaire et qui permet à des médecins de juger au cas par cas la situation du patient, est « saturée ».
Résultat, malgré l’augmentation constante du nombre de maladies professionnelles reconnues et de leur coût, la Cour constate « une sous-déclaration des maladies professionnelles massive et persistante, représentant un coût croissant à compenser à la branche maladie », déjà très déficitaire.
Tous régimes confondus, sur les quelque 87 000 maladies professionnelles reconnues en 2023, près de 90 % d’entre elles étaient des troubles musculo-squelettiques. Mais, de plus en plus, d’affections « psychosociales », telles les burn-out, sont recensées.
Fonction publique : des données « très lacunaires »
À la complexité de ce système qui « évolue difficilement » s’ajoute « un pilotage insuffisant » qui se traduit d’abord par un manque de données. « Alors que le coût des maladies professionnelles croît, leur pilotage pâtit de données incomplètes et mal utilisées », explique la Cour, qui assure que « les données actuelles, de qualité inégale selon les régimes de sécurité sociale, restent insuffisantes pour apprécier le nombre total de maladies professionnelles reconnues en France et, surtout, pour servir de fondement à une politique de prévention plus efficace ».
Reste que l’institution de la rue Cambon note que « les données sur les maladies professionnelles sont plus complètes concernant le régime général que le régime agricole et très lacunaires concernant la fonction publique ».
Pour cette dernière, ce sont les données de la fonction publique de l’État qui sont « les plus parcellaires » (les services de la police nationale ne transmettent, par exemple, plus de données depuis 2014), alors que, pour les deux autres versants, les données de 2023 couvrent « 30 % des agents de la fonction publique hospitalière » et « 49 % des agents de la fonction publique territoriale ». Dans le détail, celles des régions restent « les moins bien connues » de toutes les collectivités avec 9,5 % des agents couverts, souligne la Cour sans en dire plus sur les autres catégories collectivités.
Bien que le Code général de la fonction publique impose, depuis 2021, aux employeurs publics la transmission des données « nécessaires à la connaissance des accidents de service et des maladies professionnelles », la Cour souligne que la publication de l’arrêté fixant les modalités pratiques de la collecte de ces données « n’est toujours pas intervenue ». Ce qui rend « inopérante l’obligation de déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles dans la fonction publique ». Dans ce contexte, « le développement de l’application informatique nécessaire à sa mise en œuvre n’a pas été financé à ce jour ».
En compilant les données de 2023, la Cour estime, toutefois, que la fonction publique rassemblait 15 % des maladies professionnelles reconnues (le régime général 79 % et le régime agricole 7 %). Dans le détail, 623 nouvelles maladies professionnelles étaient recensées pour la fonction publique de l’État, 6 012 pour la territoriale et 6 103 pour l’hospitalière.
Les patients davantage reconnus en Bretagne
Par ailleurs, l’institution s'étonne, tous régimes confondus, des grandes disparités territoriales concernant les procédures d'indemnisation des maladies professionnelles. Sans que les écarts soient justifiés, ni même expliqués. « Les écarts de taux de reconnaissance et d’incapacité entre départements, parfois de grande ampleur et non expliqués, persistent », constatent ainsi les magistrats financiers.
« Les taux de rejet varient de 26 % à 57 % selon les caisses primaires d'assurance maladie » (CPAM), indiquent-ils, alors que « la Cnam n’a pas été en mesure […] de fournir d’explication sur l’ampleur des écarts constatés dans les taux de rejet » et que « la très grande majorité des demandes de reconnaissance concerne les mêmes pathologies, des troubles musculosquelettiques ».
Si les CPAM qui rejettent le plus de demandes sont celles du Cher (48 %) et du Lot-et-Garonne (48 %) suivi par celle de l’Hérault (47 %) en 2023, la taille de ces dernières n’a, semble-t-il « pas d’influence », notent les magistrats. Ils observent ainsi que « la CPAM de Périgueux (1 143 décisions) a eu un taux de rejet (44 %) similaire à celui de la CPAM de Troyes (407 décisions) ». À l’inverse, celle de La Roche-sur-Yon (1 917 décisions) a eu un taux de rejet (26 %) « similaire à celui de la CPAM de Foix (168 décisions) ».
Globalement, il y a « une plus forte propension des régions Bretagne et Pays de la Loire à accepter les demandes tant par la voie principale que par la voie complémentaire ». Le taux de reconnaissance au titre du système complémentaire connaît cependant un niveau de variation impressionnant : de 18 % en Bourgogne-Franche-Comté à 69 % en Bretagne (en moyenne de 2020 à 2023).
La Cour pointe également des disparités territoriales pour les taux d’incapacité, « 65 % des caisses appliquant une majoration selon un barème qui leur est propre ». « L’importance des écarts entre territoires semble traduire, au moins pour partie, une inégalité de traitement dommageable aux assurés », estime la Cour qui demande « d’harmoniser les pratiques ».
« Entorse » au secret médical
Concernant la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle appliquée dans le secteur public, la Cour note qu’elle repose « en grande partie sur les compétences des services des ressources humaines concernés », celle-ci reconnaissant que cela « pose des difficultés aux petites structures, soit une grande part des collectivités territoriales et des services déconcentrés ». Des difficultés qui sont d’ailleurs « majorées » par la complexité des règles qui régissent les contractuels de la fonction publique.
En outre, « la pénurie de médecins de prévention peut conduire à faire appel à des médecins agréés, moins qualifiés pour traiter ces dossiers et eux-mêmes de plus en plus rares », selon la Cour.
Dans le cas de maladie professionnelle « hors tableau », la procédure est différente du régime général puisque c’est un conseil médical - composé de médecins agréés par le préfet, de représentants du personnel et de représentants de l’administration - qui donne un avis dans ce processus dit complémentaire.
Or « durant cette procédure, le secret médical est peu protégé », déplore la Cour. « Le dossier des victimes comprend des données de santé qui sont consultées par le service des ressources humaines de leur administration. Par la suite, dans certains conseils, les dossiers complets sont transmis aux élus membres, sans autorisation expresse de la victime et lors des débats, tous les membres du conseil médical, y compris les non-médecins, sont informés oralement des données médicales du dossier », regrette l’institution de la rue Cambon qui plaide pour « remédier au plus tôt à cette entorse au secret médical ».
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