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Édition du mardi 1er octobre 2024
Santé publique

La question d'une réforme de l'Aide médicale d'État divise profondément, même au sein du gouvernement

Huit anciens ministres de la Santé, de gauche comme de droite, viennent de signer une tribune commune appelant au maintien de l'AME (Aide médicale d'État), position également défendue par la Fédération hospitalière de France. Au sein du gouvernement, les avis divergent sur ce sujet.

Par Franck Lemarc

À peine arrivé au ministère de l’Intérieur, Bruno Retailleau a remis sur le métier la réforme de l’AME. Rien de surprenant de la part de l’ancien président du groupe LR au Sénat, qui avait bataillé, lors du débat sur la loi sur l’immigration l’hiver dernier, pour la suppression de l’AME et sans transformation en « aide médicale d’urgence »  (AMU). Mais cette volonté du nouveau locataire de la place Beauvau de s’attaquer à l’AME, au motif, a-t-il déclaré, qu’il ne veut pas que « la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales », a vivement fait réagir. 

Rappelons que l’AME, mise en place en 1999, permet d’assurer la prise en charge médicale gratuite des étrangers en situation irrégulière, si ceux ont des revenus inférieurs à 10 000 par an. L’année dernière, elle bénéficiait à environ 450 000 personnes. 

Huit anciens ministres contre la réforme de l’AME

Hier, ce sont les huit précédents ministre de la Santé (1) qui ont co-signé une tribune dans Le Monde pour « rappeler l’importance du maintien »  de l’AME. 

Pour les signataires, l’idée que l’AME serait un « facteur d’incitation à l’immigration »  relève du « fantasme », « contraire aux faits »  établis dans plusieurs rapports officiels. Ils rappellent également que l’AME ne concerne pas les soins de confort mais permet « la prise en charge anticipée de pathologies dont la dégradation présente des répercussions décuplées ». Comme cela avait déjà été développé par les défenseurs de l’AME pendant le débat sur la loi immigration, la suppression du dispositif présenterait un risque pour le système de santé et les finances publiques, dans la mesure où sans l’AME, les pathologies les plus graves seraient moins bien détectées, obligeant les patients à se présenter plus tard à l’hôpital avec une pathologie plus grave –  sans compter le risque de contagion. « Affaiblir l’AME, concluent les signataires, c’est désinvestir le champ de la prévention. (…) Sans permettre de réduire l’immigration illégale, remettre en cause l’aide médicale de l’État aurait des conséquences sanitaires, humaines, sociales et économiques inacceptables. » 

Cette tribune, même si elle est signée d’anciens ministres de gauche (Marisol Touraine) et de droite (Roselyne Bachelot), comprend principalement des noms appartenant au camp macroniste. Elle apparaît donc comme une sorte d’avertissement : le parti présidentiel, ou tout au moins une partie de celui-ci, combattra une réforme de l’AME si Bruno Retailleau décide de la mettre en œuvre. La vérité oblige toutefois à rappeler que certains des signataires de cette tribune étaient en fonction, au gouvernement, lorsque Élisabeth Borne puis Gabriel Attal avaient promis… une réforme de l’AME. 

Au sein du gouvernement actuel, Michel Barnier, le Premier ministre, serait certainement favorable à une telle réforme (la mesure apparaissait dans son programme pour les primaires de la droite en 2021). La ministre de la Santé, Geneviève Darrieusecq, y est en revanche opposée. 

La FHF « totalement opposée » 

Autre réaction sur le sujet : celle d’Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France. Sur France 2, hier, le maire (Horizons) de Reims s’est d’abord « étonné »  que ce soit le ministre de l’Intérieur qui s’empare du sujet (« cela ne relève pas de ses compétences » ), et s’est dit « totalement opposé à une réforme de l’AME ». « Il y a un enjeu de santé publique et de déontologie. Quel médecin va laisser sur le trottoir un patient ? Si l’AME n’est plus financée par l’État, les missions existeront toujours, et ce seront donc les hôpitaux qui financeront les ressortissants. » 

Arnaud Robinet a rappelé que l’AME représente 0,5 % du budget de la santé. « C’est un faux problème. » 

Proposition de loi

Le sujet pourrait néanmoins arriver assez vite en débat à l’Assemblée nationale. En effet, avant même que le gouvernement ait à se poser la question de déposer un projet de loi sur le sujet, des membres du groupe Les Républicains ont déposé leur propre proposition de loi. Dans l’exposé des motifs, la députée de l’Orne Véronique Louwagie rappelle qu’à la suite du débat immigration, le précédent gouvernement s’était engagé à réformer  l’AME, par voie « législative ou réglementaire », avait dit Élisabeth Borne. Gabriel Attal, en prenant les commandes du gouvernement, avait déclaré que la réforme « se ferait par voie réglementaire avant l’été », « sur la base du rapport Évin-Stefanini ». La dissolution a arrêté le processus. 

Rappelons que le rapport en question, paru en décembre 2023, jugeait le dispositif de l’AME « utile et globalement maîtrisé », mais proposait un certain nombre « d’adaptations », pour ne pas voir le nombre de bénéficiaires augmenter de façon trop importante. Le rapport se concluait par 11 propositions faisant consensus et deux « ne faisant pas consensus ». 

Le problème, souligne Véronique Louwagie, c’est que proposer d’appliquer ces propositions « par voie réglementaire », comme l’avait dit Gabriel Attal, est impossible, puisque « dix des treize recommandations (…) sont de nature législative ». D’où la décision des Républicains de déposer une proposition de loi pour mettre en œuvre, dans la loi, ces propositions, et en ajouter quelques autres au passage. 

Il s’agit notamment de durcir les conditions d’accès à l’AME, par exemple en prenant en compte les ressources du conjoint dans le plafond ouvrant droit aux prestations, ou d’exclure de l’AME les personnes sous OQTF. Une autre mesure proposée serait de vérifier que « l’étranger en situation irrégulière concerné ne peut pas bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine ». 

Au chapitre des mesures non prévues par le rapport Évin-Stefanini, les députés LR demandent notamment l’exclusion du panier des actes pris en charge par l’AME « des actes à visée esthétique ou en lien avec (…) le transsexualisme ». Une proposition surprenante, dans la mesure où dans la liste des actes pris en charge par l’AME, telle qu’elle figure sur le site de l’Assurance maladie, ne figurent ni l’un ni l’autre de ces items. 

D’autres mesures figurant dans la proposition de loi reprennent des propositions faites au moment du débat sur la loi immigration, comme la suppression des réductions tarifaires dans les transports en commun pour les étrangers bénéficiaires de l’AME. 

(1)   Roselyne Bachelot, François Braun, Agnès Buzyn, Agnès Firmin- Le Bodo, Aurélien Rousseau, Marisol Touraine, Frédéric Valletoux et Olivier Véran. 

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