Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 20 octobre 2021
Santé publique

Désertification médicale : le désarroi des élus aux quatre coins du pays

La santé est décidément au coeur de l'actualité des maires en ce moment, entre satisfaction du gouvernement sur sa politique d'investissements et désarroi des élus locaux confrontés à des décisions qu'ils jugent incompréhensibles des ARS. 

Par Franck Lemarc

En déplacement à Dijon, hier, le Premier ministre a fait un point d’étape sur « les investissements »  après le Ségur de la santé. Une fois encore, le décalage semble considérable entre la vision du gouvernement et celle, sur le terrain, des élus – relayée, hier également, à l’Assemblée nationale. 

Soigner les citoyens « partout où ils sont » 

« Nous investissons fortement dans la santé », s’est félicité hier le Premier ministre. Rappelant que le Ségur a acté « 19 milliards d’euros sur les dix années à venir », Jean Castex a décrit le mélange « d’investissements du quotidien et d’investissements structurants »  aussi bien vers les hôpitaux que vers les Ehpad. « Ce n’est pas seulement un gros chèque », a insisté le chef du gouvernement : « C’est faire pour faire différemment, pour améliorer l'efficience de nos organisations, la qualité de la prise en charge décloisonnée au service de nos concitoyens, au service des patients. (…) La politique de santé doit permettre de soigner tous nos concitoyens partout où ils sont. » 

L’objectif est plus que louable – mais est-il vraiment à l’ordre du jour ? On peut en douter, au regard des nombreux conflits qui opposent, d’un bout à l’autre du territoire, les élus locaux et les ARS sur les fermetures d’établissement et la question des déserts médicaux. 

« SOS »  et menaces de démission

Pendant la seule séance de questions au gouvernement d’hier, à l’Assemblée nationale, ce sont pas moins de quatre questions qui ont été posées sur la « désertification médicale »  ou la situation dramatique d’un certain nombre d’établissements de proximité. 

Danielle Brulebois, députée du Jura, pourtant membre de la majorité, a par exemple « une fois encore alerté »  le gouvernement « sur la situation du groupement hospitalier Jura sud et sur celle de l’hôpital de Lons-le-Saunier, sur le mauvais état des locaux, le manque de place, le besoin de rénovation et de modernisation. (…) Notre hôpital mérite mieux. » 

Yannick Favennec-Bécot (Mayenne, UDI) a tonné dans l’hémicycle : « Quand c’est non, c’est non ! Non au démantèlement de notre hôpital, le centre hospitalier du Nord-Mayenne, qui rayonne sur un bassin de vie de plus de 100 000 habitants. »  Le député a évoqué une manifestation qui s’est tenue le 9 octobre à Mayenne, lors de laquelle « 4 000 personnes, soit près d’un tiers de la population de la ville », sont descendues dans la rue pour dire « non aux déserts médicaux, non à une agence régionale de santé aux méthodes toujours plus technocratiques et comptables ». Le député a appelé sans détour « à la suppression des ARS, ces agences déconnectées de la réalité du terrain et des élus locaux. » 

Guillaume Garot, lui aussi député de la Mayenne (PS), a abondé dans le même sens, décrivant « une désertification médicale qui s’aggrave »  aux quatre coins du pays : « En Mayenne, dans la Sarthe, dans l’Aisne, en Ardèche ou dans les Landes, (…) nous lançons un SOS ! Quand le gouvernement prendra-t-il enfin les mesures pour assurer la présence des médecins là où on a besoin d’eux, et d’abord là où ils manquent ? » 

Dans certains territoires, la situation est critique – c’est le cas notamment dans les départements du Cher et de l’Indre, comme le soulignait au Sénat, début octobre, le sénateur Rémy Pointereau. « L’heure est grave, et je pèse mes mots. Le week-end dernier, l’hôpital de Bourges s’est retrouvé, pour la énième fois, dans l’incapacité de prendre en charge des patients à cause de l’absence de structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) primaire et secondaire. Cette situation a obligé les hôpitaux des villes de Vierzon et Saint-Amand-Montrond à suppléer celui du chef-lieu du département. Or ces villes se situent à plus de quarante minutes de Bourges ; de surcroît chacun de ces hôpitaux ne dispose que d’une seule ambulance. »  Le sénateur a rappelé que les maires de ces villes « ont porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui ». 

Dans la même région, ce mois-ci encore, André Laignel, maire d’Issoudun et Gil Avérous, maire de Châteauroux, ont tenu un point de presse pour dénoncer une décision de l’ARS, qui a « retoqué »  un projet de création de centre de traitement du cancer à Châteauroux. Actuellement les patients de l’Indre atteints d’un cancer doivent se faire soigner dans un département voisin. Rappelant que « les élus de l’Indre soutenaient unanimement ce projet », Gil Avérous, furieux, a déclaré lors de ce point presse : « Une fois encore l’ARS s’essuie les pieds sur les élus locaux ». « N’ayant pas vocation à être le paillasson des technocrates », le maire de Châteauroux a averti qu’il démissionnerait de la présidence du conseil de surveillance du centre hospitalier de Châteauroux et de la présidence du comité territorial des élus locaux du groupement hospitalier de territoire si le ministre de la Santé ne s’emparait pas de ce dossier. 

Questions de gouvernance

Les ARS sont donc dans la ligne de mire des élus. Certes, commente ce matin pour Maire info Frédéric Chéreau, maire de Douai et co-président de la commission Santé de l’AMF, « les situations sont très variables d’une région à l’autre », mais globalement, « il est vrai que les ARS ont une approche très administrative et doivent encore apprendre à parler avec les élus locaux ». Le maire de Douai appelle d’ailleurs à un dialogue renouvelé non seulement avec les ARS mais également avec les préfets. 

« Le problème des ARS est qu’elles ont une approche ‘’en tuyau d’orgue’’, elles raisonnent presque uniquement sur la question des hôpitaux, quand nous avons besoin d’une approche beaucoup plus transversale. »  Frédéric Chéreau évoque les nombreuses pistes auxquelles l’AMF réfléchit depuis des années pour tenter de résorber les problèmes récurrents de la désertification médicale et de l’organisation du système de santé en général. « Il y a bien sûr la question de la gouvernance. Les maires doivent redevenir présidents des conseils d’administration des hôpitaux. Aujourd’hui ce sont les directeurs d’hôpitaux qui ont le pouvoir, et encore… comme ils n’ont pas la main sur les budgets, qui sont le nerf de la guerre, leur pouvoir est finalement aussi limité : ils ont le pouvoir, mais pas les moyens. » 

La « légitimité »  des maires sur le sujet santé

Frédéric Chéreau souscrit entièrement aux propositions détaillées hier dans Le Monde par trois chercheurs, dont Maire info s’est fait l’écho hier : les chercheurs demandent que les communes et les EPCI soient dotés d’une compétence santé. « Oui, il faut que les communes et les intercommunalités aient une compétence sur la santé, sur le pilotage local de la santé », abonde Frédéric Chéreau. « Parce que les maires sont capables d’avoir ce regard transversal sur la santé. Parce qu’il faut réfléchir à inventer des lieux qui permettent de croiser le regard de la médecine de ville et celui de l’hôpital – et les maires peuvent faire cela. Il manque aujourd’hui un lieu de pilotage local qui permette de croiser tous les regards, et les maires ont, sur ce sujet, toute légitimité ». Notamment parce qu’ils sont en mesure de proposer des politiques « en amont de l’hôpital » : « Il ne s’agit pas seulement de soigner des pathologies comme le diabète ou les insuffisances cardiaques, quand les patients sont dans une situation critique : il faut les éviter, les prévenir. Et cela, les maires sont en situation d’y contribuer, parce qu’ils portent des projets intégrés, incluant le logement, la qualité de l’air, la mobilité, l’alimentation, l’activité physique…Les maires sont au cœur du sujet sur tout cela. » 

C’est d’une véritable révolution culturelle que parle Frédéric Chéreau. Mais lorsque l’on voit le fossé qui sépare la vision du gouvernement de la réalité vécue par les élus – et les patients – il apparaît qu’il ne faudra peut-être pas moins.

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