Débat manqué à l'Assemblée nationale sur la réintégration des soignants non vaccinés
Par Franck Lemarc
Après le beau consensus transpartisan qui s’est dégagé, hier, sur le texte du groupe LFI visant à intégrer le droit à l’IVG dans la Constitution, la séance d’hier s’est terminée dans un désordre indescriptible sur la proposition de loi visant à réintégrer les personnels soignants non vaccinés.
La journée d’hier était ce que l’on appelle, dans le jargon parlementaire, une « niche », c’est-à-dire une journée pendant laquelle un groupe – en l’occurrence le groupe LFI – peut présenter ses propositions de loi. Avec une règle absolue : les débats ne peuvent se poursuivre au-delà de minuit.
Celui sur la proposition de loi consacrée aux personnels de santé non vaccinés a débuté à 18 heures. À minuit moins cinq, après des heures d’amendements surprise, d’invectives, de rappels au règlement, voire d’injures dans l’Hémicycle, il était évident que le débat n’irait pas jusqu’au bout. Le groupe LFI a quitté la séance et la présidente a suspendu les débats.
Réintégrer ou pas
La question, comme l’a rappelé le porte-parole du gouvernement lui-même, « méritait pourtant un débat » . De quoi s’agit-il ? Le texte proposé par Caroline Fiat, au nom de La France Insoumise, était bref : il disposait que « par dérogation », les personnels de santé suspendus l’an dernier pour cause de refus de vaccination puissent être autorisées à reprendre leur activité, sous réserve de présentation d’un test négatif, dont le coût serait pris en charge par l’État.
Cette proposition s’appuyait sur l’affirmation que la situation de très grave pénurie de personnel dans les établissements de santé tient, en partie, à l’éviction des personnels non vaccinés. À un moment où « l’hôpital manque de tout » , plaide Caroline Fiat, ce qui « met en danger personnels et patients » , faut-il « continuer de se priver ne serait-ce que d’un seul soignant disponible ? ». Il y a, selon LFI, environ 12 000 soignants et administratifs qui ont été suspendus.
La situation est particulièrement grave dans les Outre-mer, notamment en Martinique et en Guadeloupe, comme l’ont exprimé, pendant les débats, les parlementaires de ces circonscriptions. Pour comprendre – au-delà même de la question du fonctionnement des services de santé – la profondeur de la crise, il faut écouter ce qu’expliquait à Maire info, pendant le congrès des maires, le président de l’Association des maires de Guadeloupe, Jocelyn Sapotille (vidéo en bas de cet article) : la société « profondément fracturée » par le débat sur l’obligation vaccinale, « des familles divisées », « des séquelles profondes ». « Il y a une blessure morale profonde dans notre société, et il faut pouvoir en sortir », plaidait le maire de Lamentin.
Le tout est de savoir comment. Si Jocelyn Sapotille, de son côté, appelait respectueusement et avec beaucoup d’empathie les adversaires de la vaccination, en Guadeloupe, à revenir sur leur position, les députés LFI proposent, pour leur part, que ces personnels soient réintégrés, eu égard notamment au fait que, depuis l’apparition d’Omicron, « le risque supplémentaire lié à l’absence de vaccination est de moins en moins significatif ».
Un autre argument a été brandi, dans l’Hémicycle, par le député guadeloupéen Max Mathiasin, et il est à considérer : « Aucun texte de la fonction publique ne prévoit qu’une suspension soit définitive. »
Les oppositions unies
Le débat a commencé relativement sereinement. Agnès Firmin Le Bodo, pour le gouvernement, a dit son opposition à ce texte. D’abord parce que « le covid-19 n’est pas derrière nous (…) et il est loin d’avoir dit son dernier mot » : les chiffres de contamination sont récemment repartis à la hausse, avec un taux de reproduction redevenu supérieur à un depuis une semaine. De plus, a affirmé la ministre, dire que la réintégration serait « une réponse aux difficultés que rencontre notre système de santé » est « faux », puisqu’il s’agit d’un phénomène « marginal ». Pour le gouvernement, cette proposition de LFI n’est donc « pas opportune ».
Néanmoins, le gouvernement a saisi la Haute Autorité de santé sur cette question, la semaine dernière, sur « la réactualisation des recommandations vaccinales pour les professionnels de santé ». La HAS devrait rendre ses conclusions « dans les prochaines semaines ». Mais la ministre a clairement indiqué son opposition aux propositions de LFI, jugeant que le remède proposé « serait pire que le mal », « ni réaliste ni efficace », « coûteux » et « problématique sur le plan éthique » .
Les débats se sont ensuite fortement tendus entre le groupe Renaissance et le gouvernement, d’un côté, et les oppositions, de l’autre. Le groupe Les Républicains s’est solidarisé du texte de LFI : « C’est une proposition de loi essentielle. La suspension des personnels de santé devait être, par définition, temporaire. Elle ne saurait aucunement être définitive. Il est donc indispensable de réhabiliter très rapidement ces milliers d’hommes et de femmes. »
Le député socialiste guadeloupéen Élie Califer s’est déclaré lui aussi favorable à cette mesure, expliquant que son groupe était divisé sur ce sujet. Olivier Serva (LIOT), lui aussi guadeloupéen, a soutenu le texte en rappelant que de nombreux pays d’Europe n’avaient « jamais suspendu les soignants non vaccinés » et que l’Italie, qui avait décidé de les suspendre, vient de décider de les réintégrer. Le Rassemblement national, par la voix de Bénédicte Auzanot (Vaucluse), a aussi soutenu la proposition de loi, attaquant violemment le gouvernement (« Vous n’êtes pas les enfants de Pasteur mais les enfants de Tartuffe » ).
Seul le groupe Renaissance s’est donc très clairement opposé à la proposition de loi. « Une opposition rigoureuse » , a plaidé Éric Alauzet (Doubs), face à un texte « complexe et risqué, discutable sur le plan éthique, qui générerait des oppositions et des tensions internes ». Ce texte « dédouanerait » ceux qui jusqu’à présent ont refusé « la règle générale » , selon le député Renaissance.
« Travail d’obstruction »
Alors que la discussion générale s’est faite dans un calme relatif, la discussion des articles a, elle, été extrêmement agitée. En pleine discussion, deux poids lourds du gouvernement ont été dépêchés en urgence dans l’hémicycle, le ministre de la Santé François Braun et le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, qui avait à l’époque piloté les débats sur l’obligation vaccinale. Les députés Renaissance, puis les ministres eux-mêmes, ont, en pleine séance, déposé une foule d’amendements pour tenter de ralentir les débats, alors que se rapprochait l’heure butoir de minuit. L’opposition a dénoncé « des manœuvres d’obstruction ». Furieux, le président du groupe LR, Olivier Marleix, a estimé que « c’est peut-être la première fois dans la Ve République qu’un gouvernement se prête à un travail d’obstruction » . Max Mathiasin, dans une colère homérique, a tonné « qu’aucun ministre ne peut sortir de son lit à pareille heure pour venir faire du dilatoire pour nous empêcher de délibérer ! ». Le Martiniquais Jean-Philippe Nilor s’est désolé d’un « spectacle extraordinairement pitoyable » : « Vous n’imaginez pas ce qui se passe dans nos territoires. Les gens y croyaient encore que la démocratie fonctionnait en France. Vous êtes en train de montrer qu’on peut être minoritaires et empêcher le débat démocratique d’avoir lieu. »
D’interruptions de séance en rappels au règlement, la séance s’est achevée dans un brouhaha invraisemblable, sans véritable débat sur le fond et sans que l’examen du texte puisse aller à son terme – les rapports de force, à ce moment, dans l’hémicycle, laissant clairement penser que si cela avait été le cas, le texte aurait trouvé une majorité.
Revoir l’interview par Maire info de Jocelyn Sapotille au congrès des maires.
Jocelyn Sapotille, maire de Le Lamentin, président de l'Association des maires de la Guadeloupe from Association des Maires de France on Vimeo.
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