Un collectif de maires se mobilise pour défendre les Ehpad publics menacés par les déficits
Par Emmanuelle Stroesser
Cela fait presque un an qu'une poignée de maires a décidé de taper du poing sur la table et de trouver le moyen d'obliger les autorités de tutelle à ne plus laisser les gestionnaires d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics seuls face aux difficultés financières qui ont plongé leurs établissements dans le rouge ces dernières années.
Ce collectif de maires bretons s'apprête à déposer dans quelques jours les premières « demandes indemnitaires préalables » pour réclamer à l’État les moyens qui leur ont manqué. À défaut de réponse dans les deux mois suivant le dépôt de ces dossiers, les maires porteront leurs requêtes devant le tribunal administratif.
« Notre objectif n'est pas d'aller au procès mais d'éviter une catastrophe sociétale » , explique l'un des initiateurs de la démarche, Jean-Louis Even, maire de La Rauche-Jaudy (22). Le dossier déposé au titre de sa commune fera partie de la première fournée, d'une vingtaine de dossiers. Une trentaine d'autres dossiers devraient suivre, une cinquantaine de communes et CCAS ayant pris en tout la décision de déposer un recours.
Leur but n'est pas non plus d'obtenir « juste » une réparation financière qui leur permettrait de remettre les comptes à zéro. Car les élus promettent déjà de renouveler leur démarche chaque année, tant que les conditions de financement des Ehpad ne seront pas revues en profondeur.
Des conditions indignes insupportables
Tous font face à des déficits importants. La situation s'est aggravée ces deux dernières années. « L’État ne peut pas dire qu'il ne savait pas. Cela fait depuis 2020 que je préviens l'ARS et le département », assure Xavier Compain, maire de Plouha (22). Les déficits s'accumulent. Les additions se chiffrent par centaines de milliers d'euros. Les chiffres sont abyssaux : 600 000 euros pour l'un, 550 000, 450 000, etc... « Près de 85 % des EHPAD sont en grosse difficulté », rappellent les élus, confortés dans leur diagnostic par la dernière enquête de la fédération hospitalière de France (lire Maire info du 22 avril).
Les communes épongent, mais « nous ne pouvons et ne voulons plus » , préviennent-ils. « Nous allons arrêter de mettre à disposition gratuitement des techniciens, ou de facturer moins chers les repas ou diminuer les loyers, tout ce qui fait que les dépenses ne sont pas estimées à leurs vrais coûts », indique l'un des maires. Car tout craque : l'inflation, les difficultés de remplacement du personnel, le coût de l'intérim, les conditions de travail, l'accompagnement des résidents, etc. Sauf à augmenter les tarifs (encadrés par les autorités de tutelle, État et département), les gestionnaires n'ont d'autres choix que de voir les déficits se creuser, sans que le service rendu aux résidents soit à la hauteur de celui attendu. « Qui accepterait de devoir faire pipi sur commande, une seule douche par semaine et dix minutes pour manger car on est obligé d'être aidé mais que l'agent n'a pas le temps ou d'être mis au lit à 18h pour en sortir à 10 heures sans avoir vu quelqu'un ? » , interpelle Jean-Louis Even. « Si on veut augmenter le nombre d'agents, on est obligé d'autofinancer sur nos réserves, aujourd'hui épuisées, en jouant sur les loyers, ou en économisant sur d'autres postes, cela devient intenable », fait remarquer le maire de Plourin-les-Morlaix (29), Guy Pennec. « Le département m'autorise une aide de 320 000 euros mais sous réserve d'augmenter les loyers de 10 % et donc de porter la mensualité à 2 200 euros au lieu de 2 000 euros ce qui est énorme pour des retraités agricoles », témoigne Marc Ropers, maire de Cleguerec (56). Tous font part des « détresses des familles dont certaines n'ont d'autre issue que de retirer leur parent de l'Ehpad ». « Certains collègues menacent de fermer quand d'autres sont tentés de céder au privé lucratif », explique le maire de Bruz (35), Philippe Salmon.
Un bras de fer pour une loi grand âge
Ce mouvement de maires « en résistance » s'est forgé il y a près d'un an. L'année a été mise à profit pour forger un mouvement collectif et constituer, établissement par établissement, des dossiers solides, épais. Chacun a évalué les préjudices de gestion, le préjudice moral. Si les affaires se poursuivent devant les juges, « nous leur demanderons d'estimer le préjudice social de nos résidents ». Du fait de cette agitation, certains ont pu obtenir des aides dites « non reconductibles » pour 2023. « Mais cela n'éponge pas les déficits comme cela ne répond pas sur la durée, ce qui nous laisse dans la même insécurité budgétaire et le même inconfort pour les résidents », regrette un maire.
Les dernières annonces du gouvernement d'un coup de pouce 190 millions en faveur des EHPAD publics (lire Maire info du 25 avril) ne les satisfont pas non plus. « On nous promet + 5 % de dotation de l'agence régionale de santé mais pour moi cela équivaut à 33 000 euros, quand j'ai 200 000 euros de déficit annoncé pour l'an prochain », dénonce l'un d'eux.
Les maires l'assurent, ils ne s'arrêteront pas à des victoires individuelles, si victoire il y a. Leur initiative, « transpartisane » vise « l'intérêt général » . Ils attendent donc une loi grand âge avec des financements à la hauteur des besoins liés au 5e risque dépendance. C'est ce qu'ils expliqueront sans doute à Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées, à l'occasion d'une rencontre programmée pour le 16 mai prochain.
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