Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 30 mars 2023
Société

Sainte-Soline : des violences qui approfondissent encore les clivages

Les violents affrontements qui ont eu lieu samedi dernier dans les Deux-Sèvres n'en finissent pas de déchirer la classe politique, alors que de nouvelles manifestations sont prévues, ce soir, devant les préfectures. L'AMF a condamné, hier, « les actes de violence et les dégradations », et appelé à la « concertation » sur la question des usages de l'eau.  

Par Franck Lemarc

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© ADF

Cinq jours après les affrontements à Sainte-Soline entre forces de l’ordre et opposants aux méga-bassines, qui ont fait de nombreux blessés dans les deux camps, dont deux manifestants toujours dans le coma à cette heure, la polémique enfle, au point d’avoir occupé, mardi et mercredi, une grande partie des séances de questions au gouvernement. 

Passes d’armes au Parlement

Le gouvernement et l’opposition de gauche se renvoient la balle sur la responsabilité de ces affrontements. Côté ministère de l’Intérieur, on dénonce des manifestants « radicalisés », venus pour « tuer des forces de l’ordre », et on rappelle que les « blacks blocs », dont certains sont venus d’Italie ou d’Allemagne, étaient pour certains armés « de haches, de mortiers d’artifices, de boules de pétanque et de cocktails Molotov ». Gérald Darmanin, à chaque interpellation des députés ou des sénateurs, a rappelé qu’il s’agissait d’une manifestation « illégale », puisqu’elle avait été interdite par la préfecture, et s’en est vivement pris aux parlementaires de gauche qui « vomissent les policiers et les gendarmes ». La Première ministre est également montée au créneau, hier au Sénat, pour défendre les forces de l’ordre et « le déchaînement de violence contre l’ordre républicain », estimant « choquant »  que des élus « en écharpe tricolore »  aient pu participer à une manifestation interdite. « Renvoyer dos à dos casseurs et forces de l'ordre est indigne de la part d'élus de la République ! », a fustigé Élisabeth Borne. 

Du côté de l’opposition, on s’interroge sur les moyens déployés par le ministère de l’Intérieur, jugés « disproportionnés », et sur l’usage, notamment, des grenades de désencerclement, qui seraient à l’origine de plusieurs blessures graves chez les manifestants. Par ailleurs, des questions sont posées par un enregistrement diffusé par le quotidien Le Monde et la Ligue des Droits de l’homme, qui laisse à penser que les secours n’ont pu accéder au site suffisamment rapidement pour porter secours aux blessés graves, sur interdiction des forces de l’ordre. Ce qui est fermement démenti par la préfète des Deux-Sèvres et le ministre de l’Intérieur. Ce point devra faire l’objet d’une enquête. 

Des manifestations sont prévues, ce soir, devant les préfectures et sous-préfectures, pour dénoncer « les violences policières ». 

L’AMF demande « la reprise du dialogue » 

L’AMF et l’association départementale des maires des Deux-Sèvres ont, hier, publié un communiqué pour « condamner les actes de violences et de dégradations qui mettent en danger la vie des manifestants et des forces de l’ordre et portent atteinte à nos institutions ». « Aucune cause », écrivent le président de l’AMF, David Lisnard, et Marie-Pierre Missioux, présidente de l’ADM79, « ne peut justifier ces comportements dangereux. Nos collectivités locales ne doivent pas être le théâtre de guérillas rurales et toutes actions en ce sens sont inacceptables. Nous en appelons au respect des règles de droit et de toutes les décisions de justice. » 

Sur le fond, les deux maires estiment que ces affrontements « traduisent une situation qui ne peut rester en l’état et dont la solution ne relève pas du champ de la sécurité intérieure mais d’une concertation (…) entre tous les acteurs concernés ». « Les conflits d’usage de l’eau sont devant nous et toucheront tout le territoire national, face à ces tensions croissantes la concertation doit s’organiser autour des élus locaux », conclut l’AMF, qui appelle « à la reprise du dialogue ». 

Manifestations non déclarées

La question de la participation à des manifestations et de l’interdiction, ou pas, de celles-ci, fait également débat en ce moment. Plusieurs organisations, avocats et élus ont en effet rappelé ces derniers jours, à la suite de nombreuses arrestations lors de manifestations « sauvages », qu’une manifestation n’a pas, en France, à être « autorisée » : le droit de manifester étant une liberté fondamentale, il n’est pas nécessaire de disposer d’une autorisation pour manifester – les organisateurs étant, en revanche, tenus de déclarer la manifestation. En revanche, la participation à une manifestation expressément interdite par les pouvoirs publics relève de l’infraction. 

Ce débat a été embrouillé par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, qui a déclaré la semaine dernière, lors d’une visite à des policiers, que « être dans une manifestation non déclarée est un délit (qui) mérite une interpellation ». Après que plusieurs avocats, de membres du Syndicat de la magistrature et de la Ligue des droits de l’homme se furent indignés de ces propos, c’est le Conseil d’État lui-même qui a recadré le ministre de l’Intérieur : dans une ordonnance prise hier, à laquelle l’AFP a eu accès, le Conseil d’État a qualifié les propos de Gérald Darmanin « d’erronés »  et de « regrettables ». Le Conseil d’État rappelle un arrêt de la Cour de cassation de 2022, qui a définitivement tranché sur le fait que « aucune disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée ». 

Les magistrats ont toutefois estimé que les propos du ministre de l’Intérieur ne pouvaient « avoir d’effet notable sur l’exercice de la liberté de manifester ». 

Interdictions : une publicité insuffisante

Une autre question mobilise, en ces temps agités, la Ligue des droits de l’homme et un certain nombre d’avocats, sur le même sujet : celle de la publicité des interdictions de manifester. Il a été constaté qu’un certain nombre de préfectures, dont celle de Paris, ont interdit récemment toute manifestation dans plusieurs secteurs délimités, mais sans communiqué de presse ni publication de cette décision sur le site. La décision, dans plusieurs cas relevés par la LDH, a uniquement été affichée à l’entrée de la préfecture. Cette pratique est certes légale, puisqu’un tel affichage rend la décision, d’un point de vue juridique, « publique », mais elle pose tout de même un problème, de nombreux manifestants pouvant expliquer, de bonne foi, qu’ils n’étaient pas au courant de la décision d’interdiction. Plusieurs manifestants, notamment à Paris, ont été arrêtés et sont menacés d’amende pour avoir participé à des manifestations dont ils ignoraient qu’elles étaient interdites, défend la Ligue des droits de l’homme, qui alerte sur cette pratique et demande que davantage de publicité soit faite sur ces décisions d’interdiction. Ce qui, à l’heure de Twitter, d’internet et des réseaux sociaux, ne semblent pas inatteignable. 

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