Fibre : une accélération des déploiements au détriment de la qualité des installations
Le raccordement des Français à la fibre ne se fait pas sans accroc. « Un grand bazar », tonne même 60 millions de consommateurs dans une enquête publiée le 23 février. De plus en plus de clients dénoncent, en effet, des installations bâclées par les techniciens chargés de dérouler les derniers mètres de câble permettant de raccorder un logement. « Un trou fait n’importe comment dans un mur, un câble qui est laissé en train de pendre dans un coin… Voire un dégât collatéral sur un autre branchement électrique », énumère, auprès de France info, Benjamin Douriez, auteur de l’enquête qui pointe une baisse générale de la qualité des installations.
Armoires de raccordement « fracturées, éventrées, ouvertes aux quatre vents »
De nombreux témoignages de particuliers inondent, ces dernières semaines, les pages de la presse locale. On apprend, par exemple dans L’Alsace, qu’une habitante de Guebwiller (Haut-Rhin) a été contrainte de déplacer son téléphone fixe à la cave après le passage de techniciens. Elle a dû payer elle-même un électricien et un chauffagiste pour « retrouver une installation propre et normale ». À Evreux (Eure), « les armoires de raccordement, destinées à relier les clients des opérateurs au réseau internet, sont pour la plupart fracturées, éventrées, ouvertes aux quatre vents », constatent nos confrères d’Actu.fr.
Le problème n’est pas nouveau : réuni aux Sables-d’Olonne (Vendée) à l’automne dernier, le monde du très haut débit faisait déjà état de difficultés opérationnelles sur le terrain (lire Maire info du 22 octobre 2020). L’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca) déplorait « une pandémie de malfaçons ». Le mode « Stoc » pour « sous-traitance à l’opérateur commercial » est principalement dans son viseur.
Clients déconnectés, échecs répétés de raccordement
« Ce dispositif permet à l’opérateur commercial (OC) de réaliser les raccordements finals à la place du propriétaire du réseau, l’opérateur d’infrastructure (OI), résume l’Avicca dans un communiqué publié le 4 mars. Il a tout ravagé sur son passage : échecs répétés de raccordements, clients déconnectés plusieurs heures/jours/mois, prises posées à ''l’arrache'', etc. Aujourd’hui, du seul fait de ce mode Stoc, l’image même du FttH, cette révolution technique que tout le monde attend, est fortement dégradée ». Le secrétaire d’État à la Transition numérique et aux Communications électroniques, Cédric O, ne disait pas autre chose en novembre 2020 : « « Nous sommes en train de gâcher, en partie, ce que nous avons eu tant de mal à faire. Il n’y a pas un département où l’on ne me parle pas d’armoires défoncées et de gens dont la connexion est coupée. Ce n’est pas possible ! ».
Un nouveau contrat « Mode stoc » pour en finir avec « les pratiques désastreuses » ?
Depuis, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) a lancé une consultation publique sur la problématique générale des raccordements. « Au-delà de la résolution impérative de ces graves questions de pérennité des réseaux, la régulation doit aussi permettre de traiter les raccordements dits longs et complexes, pour desservir tous les abonnés sans recourir à de nouvelles subventions publiques, grâce à des mécanismes de péréquation et par la vérification des coûts réels, écrit encore le président de l’association, Patrick Chaize. L’Avicca ne réclame pas, à date, l’arrêt du mode stoc, mais celui des pratiques désastreuses qui ont cours dans sa mise en œuvre. » Le syndicat mixte Doubs Très Haut Débit (SMIX) a lancé, en ce sens fin février, une opération « dé-STOC-age » pour mettre fin à l'intervention des sous-traitants. Au micro de France Bleu, Denis Leroux, le président du SMIX, est exaspéré : « les sous-traitants sont mal formés, mal payés, mal équipés, résultat : ils n'installent pas correctement la fibre et abîment notre réseau pourtant tout neuf » .
Face à la pression, pour « améliorer la qualité des raccordements et garantir la pérennité des réseaux fibre en France », InfraNum a annoncé, le 3 mars, un nouveau contrat « Mode stoc » entre opérateurs d’infrastructures et opérateurs commerciaux. « Objectif : aboutir à une résolution collective opérationnelle efficace et équilibrée pour améliorer la qualité et la sécurité des interventions, les processus et la rapidité de raccordement, la formation des intervenants, afin d'assurer la qualité et la pérennité des réseaux en responsabilisant les intervenants ». Selon les termes de ce nouveau contrat, les coûts de maintenance seront supportés par les OI et les OC « selon une clé de répartition approuvée par l'Arcep ».
5,8 millions de lignes déployées en 2020
En attendant sa généralisation, cinq présidents de la filière électrique et numérique du bâtiment (FDME, FFIE, Ignes, Sycabel, UNA3E-Capeb) ont appelé, le 3 mars, les pouvoirs publics à « se mobiliser face aux inquiétants problèmes de raccordement de la fibre optique jusqu’au logement, afin que les Français bénéficient du très haut débit à leur domicile ». Pour rappel, selon les objectifs du plan France très haut débit, 80 % des Français doivent avoir accès à la fibre fin 2022 et 100 % en 2025.
Le 4 mars, l'Arcep a annoncé que plus de 5,8 millions de lignes ont été déployées au cours de l’année 2020, malgré la situation sanitaire, soit 19 % de plus qu’en 2019. Au 30 décembre 2020, 24,2 millions de locaux étaient éligibles aux offres FttH, soit une hausse de 31 % en un an. « Le rythme des déploiements des lignes FttH dans la zone d’initiative publique a permis de se rapprocher du meilleur trimestre jamais enregistré, avec plus de 500 000 locaux rendus éligibles », observe l’Arcep désormais présidée par l’ancienne députée UDI d’Eure-et-Loir, Laure de la Raudière.
« Aujourd’hui, grosso modo, une bonne moitié des Français peut y avoir accès. Cela progresse de façon régulière, entre 1 million et 1 million et demi de logements supplémentaires chaque trimestre deviennent éligibles, confirme Benjamin Douriez. Mais il y a des grandes inégalités territoriales, on s’en doute. En Île-de-France, région très urbanisée, on approche les 90 % d’habitants qui ont accès à la fibre. Dans d’autres régions, comme la Bourgogne-Franche-Comté, la Bretagne, la Corse, on est plutôt autour de 30 à 35 % ».
Ludovic Galtier
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