Le gouvernement parvient à empêcher un vote sur l'abrogation de la réforme des retraites
Par Franck Lemarc
Obstruction systématique, échange d’injures, et même provocation physique… L’Assemblée nationale a été en ébullition toute la journée d’hier lors de la niche parlementaire du groupe La France insoumise, qui avait mis à l’ordre du jour un texte visant à rétablir la retraite à 62 ans et à abroger l’obligation de cotiser 43 annuités pour toucher une retraite pleine et entière.
L’enjeu était majeur pour le gouvernement, dans la mesure où mathématiquement, puisque le Rassemblement national avait décidé de voter ce texte, il avait toutes les chances d’être adopté – l’ensemble des voix du Nouveau Front populaire additionnées de celles du RN permettant d’atteindre la majorité absolue. Il ne restait qu’une solution pour éviter cette situation : faire en sorte que le vote n’ait pas lieu. Il existe en effet une particularité pour les « niches » parlementaires – c’est-à-dire les journées dédiées à l’examen des propositions de loi d’un groupe parlementaire : les débats doivent impérativement s’arrêter à minuit. Il suffisait donc à la coalition gouvernementale (macronistes et LR) de faire durer les débats suffisamment longtemps pour empêcher d’aller au vote.
Retour à 62 ans
Que proposait ce texte ? De revenir sur la réforme des retraites de 2023, adoptée dans la douleur par le Parlement malgré une profonde opposition de la population, par l’usage du 49-3 – avec un épisode lors duquel le gouvernement avait failli être renversé, à neuf voix près. Le texte présenté par LFI visait, d’une part, à porter l’âge légal de départ en retraite de 64 à 62 ans, mais aussi à abroger la réforme dite Touraine (cotisation pendant 43 annuités pour toucher une retraite complète).
Pour financer le coût de cette réforme, LFI proposait d’une part l’habituelle majoration de la taxe sur le tabac, mais aussi l’instauration d’une contribution additionnelle « sur les bénéfices exceptionnels des sociétés pétrolières et gazières ». La contribution se serait appliquée aux entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, lorsque leur bénéfice serait supérieur à 1,25 fois celui des exercices 2017-2018-2019. Autrement dit, l’idée était de faire payer une taxe additionnelle sur les profits réalisés pendant la période de montée de l’inflation.
Obstruction assumée
Il était évident, avant même le commencement des débats, que la technique des députés du « socle commun » (la coalition qui soutient le gouvernement) serait l’obstruction : presque 1000 amendements avaient été déposés sur ce texte de trois articles seulement – ce qui est évidemment impossible à discuter en une seule journée. Les députés du socle commun ont d’ailleurs parfaitement assumé cette stratégie, ne se privant pas de rappeler qu’ensevelir un débat sous une avalanche d’amendements a, précisément, été la méthode de l’opposition de gauche et du RN pendant le débat de 2023. « C’est la fable de l’arroseur arrosé », a ironiquement fait remarquer le député MoDem Philippe Vigier.
Par exemple, avant même que les articles du texte lui-même soient examinés, une centaine d’amendements avaient été déposés sur le titre de la proposition de loi (« proposition de loi visant à l’abrogation de la retraite à 64 ans » ), pour ajouter diverses formules plus ou moins ironiques : « avec l’argent des Français que nous n’avons pas », « sans considération pour l’équilibre budgétaire des comptes sociaux », etc. Chacun de ces amendements a fait l’objet d’une présentation – la plus longue possible –, d’un vote – négatif – avant de passer à l’amendement suivant…
Dès l’entame des débats, d’ailleurs, la ministre du Travail et le ministre chargé du Budget ont donné le ton, en s’exprimant pendant plus de trois quarts d’heure, durée très inhabituelle. À chaque amendement, la ministre du Travail a longuement motivé ses avis, pendant que l’horloge tournait. Face à ce procédé, la tension est montée toute la journée dans l’Hémicycle, au point que dans la soirée, certains députés ont failli en venir aux mains, nécessitant l’intervention des huissiers.
Les députés du Nouveau Front populaire ont également plusieurs fois fait remarquer à ceux du socle commun qui étaient bien plus nombreux en séance, pour organiser l’obstruction, que lors des débats budgétaires, où leurs bancs étaient plus que clairsemés. Néanmoins, les votes qui ont eu lieu hier montrent que le danger était bien réel, pour le camp gouvernemental, qui aurait très probablement perdu la partie si le texte avait été mis aux voix. Ce qui n’a pas été le cas : à minuit, à peine la moitié des amendements avait été discutée.
Armes inégales
Les députés du socle commun ne se sont pas privés de répéter, toute la journée, qu’ils ne faisaient que reprendre la méthode appliquée par l’opposition lors du débat sur le projet de loi retraites. C’est exact, mais à une importante nuance près : l’opposition et le gouvernement ne jouent pas à armes égales à l’Assemblée. Les textes prévoient notamment que le gouvernement dispose de plusieurs armes pour contrer une obstruction systématique de l’opposition : la possibilité de refuser certains amendements s’ils n’ont pas été discutés en commission (article 44-2 de la Constitution), d’exiger que l’Assemblée se prononce sur un texte ne contenant que les amendements qu’il a lui-même retenus (article 44-3), de faire voter certains articles en priorité, voire de faire procéder à une deuxième délibération sur un article lorsque la première ne lui a pas été favorable… Ces règles, fixées par la Constitution de la Ve République, ne posent pas forcément de problème dans une situation « normale », où un gouvernement dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Elles deviennent plus problématiques dans la situation actuelle – inédite depuis 1958 – où l’Assemblée est divisée en trois blocs sans majorité.
Prochaine étape
La prochaine étape de ce capharnaüm parlementaire aura lieu lundi, lors du vote sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le gouvernement va très certainement demander l’application du 49-3, ce qui provoquera le dépôt d’une motion de censure par le NFP. Si le Rassemblement national la vote, le gouvernement sera renversé.
Pour tenter de dissuader le parti de Marine Le Pen de franchir le Rubicon, Michel Barnier a annoncé, hier, qu’il cédait à deux exigences du RN : il renonce à augmenter les taxes sur l’électricité et à mettre fin aux exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires.
La tentative a échoué : Marine Le Pen a aussitôt répondu par voie de presse que le RN n’avait pas deux mais quatre « lignes rouges » et que les reculs de Michel Barnier étaient, par conséquent, insuffisants. Elle a donné « jusqu’à lundi » au chef du gouvernement pour annoncer également la revalorisation des pensions de retraite dès le 1er janvier, et non en juillet, et l’annulation de la baisse du remboursement des médicaments. Faute de quoi, son parti pourrait tomber le gouvernement.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Budget 2025 : le Sénat limite certaines pertes de ressources pour les petites communes
Un nouvel accord entre l'AMF et la Sacem destiné aux communes de moins de 5 000 habitants
Les collectivités face à l'enjeu du reclassement des agentsÂ
Les vélos sont enfin autorisés à être équipés de feux stop et de clignotants