Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 1er juin 2023
Réforme des retraites

Retraites : le camp présidentiel remporte l'avant-dernière manche à l'Assemblée nationale

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a rejeté, hier, l'ultime tentative parlementaire de revenir sur la réforme des retraites. La proposition de loi du groupe Liot a été expurgée de sa principale mesure en commission, et il est fort peu probable qu'en séance publique, le 8 juin prochain, celle-ci puisse être rétablie par amendement. Explications.

Par Franck Lemarc

Le texte déposé le 25 avril à l’Assemblée nationale par le groupe Liot avait le mérite de la clarté : « Proposition de loi abrogeant le recul de l’âge effectif de départ à la retraite ». Ce texte était composé de deux articles, le premier « revenant à l’état antérieur du droit », en rétablissant le départ à la retraite à 62 ans au lieu de 64 ; le second proposant l’organisation d’une « conférence de financement pour garantir la pérennité de notre système de retraite ». 

Après le très long feuilleton parlementaire et les mois de manifestations et de grève que le pays a connus entre janvier et avril, le débat sur cette proposition de  loi apparaît aux adversaires de cette réforme comme l’ultime épisode… et la possibilité pour l’Assemblée nationale de voter, enfin, sur ces dispositions, puisque cette possibilité a été empêchée par l’usage de l’article 49-3.

Billard à trois bandes

De son côté, le gouvernement n’a jamais caché son intention de tenter par tous les moyens à sa disposition de bloquer cette proposition de loi. Avec le souvenir cuisant d’avoir senti le vent du boulet, le 20 mars, lorsque la motion de censure déposée par le même groupe Liot a été rejetée à seulement 9 voix près. Le dépôt d’une proposition de loi par le groupe Liot visant à abroger la réforme des retraites présentait le même danger pour le gouvernement : le groupe Liot est suffisamment « centriste »  pour pouvoir rassembler les suffrages de toutes les oppositions et, de ce fait, recueillir une majorité contre le camp présidentiel.

Plutôt que d’aller au vote, la majorité a donc choisi une stratégie en deux temps : d’abord, vider le texte de sa substance en commission ; puis, invoquer la Constitution pour empêcher le groupe Liot de rétablir sa mesure d’abrogation par amendement. 

Le premier épisode s’est joué hier, en commission des affaires sociales, où siègent 32 députés de la majorité, 19 Nupes, 11 RN, 8 Républicains et 2 Liot. Par précaution, le groupe LR a remplacé deux absents par des députés n’ayant pas voté la motion de censure du 20 mars, assurant aux adversaires de la proposition de loi une courte majorité dans la commission. 

Logiquement, après quelques heures de débat, l’article 1er du texte – celui qui prévoit de revenir à la retraite à 62 ans – a été rejeté par les membres de la commission, par 38 voix contre 34. Trois possibilités s’offraient alors : ou bien la commission adoptait le texte avec son seul article 2 – et dans ce cas, c’est ce texte amputé qui doit être examiné en séance publique. Ou bien le texte est entièrement rejeté par la commission, et c’est le texte initial qui sera examiné en séance publique. Ou bien, enfin, la commission n’arrive pas à examiner le texte dans son ensemble dans le temps imparti – et dans ce cas, le résultat est le même : la proposition de loi initiale revient en séance publique. 

Sans surprise, l’opposition a tenté de jouer ces deux dernières cartes : le député Liot Charles de Courson a déposé un amendement pour supprimer l’article 2, afin de faire rejeter l’ensemble du texte. Son amendement n’a pas trouvé de majorité.

L’opposition de gauche, elle, a déposé des milliers de sous-amendements, afin de retarder au maximum l’examen du texte par la commission et espérer, là encore, un examen du texte initial en séance publique. La présidente de celle-ci, Fadila Khattabi, a trouvé un contre-feu : elle a fait jouer l’article 41 du règlement de l’Assemblée nationale, qui dispose que « le président de chaque commission organise les travaux de celle-ci. Son bureau a tous les pouvoirs pour régler les délibérations ». Elle a utilisé ces « pouvoirs »  pour faire rejeter en bloc tous les sous-amendements de la Nupes. 

La majorité a donc atteint son objectif : la proposition de loi du groupe Liot va arriver en séance publique, le 8 juin, amputé de son principal article.

Et maintenant ?

Il ne reste qu’une solution à l’opposition : réintroduire, en séance publique, l’article 1er de la proposition de loi par amendement. C’est ce que voulait le gouvernement : car à ce stade de la discussion, c’est la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui décide de la recevabilité, ou non, des amendements. Et celle-ci a déjà annoncé que les amendements réintroduisant l’article 1er seraient déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. 

De quoi s’agit-il ? Cet article 40 dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Or le rétablissement de la retraite à 62 ans aurait pour conséquence une facture à plusieurs milliards d’euros pour les finances publiques. L’argument de « l’irrecevabilité financière »  s’entend donc, d’un point de vue constitutionnel.

Il s’entend plus difficilement d’un point de vue politique. En effet, d’une part, le président de la commission des finances, Éric Coquerel, a jugé que le texte était financièrement recevable ; mais surtout, d’autre part, le texte a été validé lors de son dépôt par le Bureau de l’Assemblée nationale, qui regroupe la présidente de l’hémicycle, les six vice-présidents, les questeurs et les secrétaires. Le 16 mai, ce Bureau a déclaré ce texte recevable financièrement, ce qui lui a permis de poursuivre son chemin parlementaire. 

Déclarer maintenant irrecevables, au titre de l’article 40, les dispositions qui figuraient dans le texte initial oblige donc la présidente de l’Assemblée à un exercice compliqué : ce qui était recevable le 16 mai ne le sera apparemment plus le 8 juin. 

Yaël Braun-Pivet semble décidée à tenir cette position. Si cela se confirme le 8 juin, c’en sera fini de cette proposition de loi. Avec le risque, sans doute, de voir l’opposition tenter alors une nouvelle fois de renverser le gouvernement par une motion de censure. 

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