Retraites : la Cour des comptes juge la situation de la CNRACL « de plus en plus critique »
Par Franck Lemarc
Le Premier ministre, François Bayrou, a demandé à la Cour des comptes de lui faire un état des lieux de la situation financière des régimes de retraite, état des lieux qui doit servir de « base indiscutable » aux discussions qui vont s’ouvrir entre les partenaires sociaux. La Cour a analysé un certain nombre de « leviers » de réforme, et souhaite offrir « la vision la plus claire possible de ce sujet complexe, sur la base de constats et de chiffres objectivés ».
Un excédent qui ne va pas durer
La première information délivrée par la Cour des comptes est plutôt une bonne nouvelle : en 2023, le système des retraites, pris dans sa totalité, est excédentaire (d’environ 8,5 milliards d’euros). C’est en partie le résultat des réformes successives, qui ont fait reculer l’âge de départ, mais aussi de l’inflation, qui a conduit à une hausse des salaires et donc des cotisations.
Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là : dès 2025, estiment les magistrats financiers, le déficit tous régimes confondus devrait atteindre 6,6 milliards d’euros. Il pourrait se stabiliser à ce niveau jusqu’en 2030, avant de se dégrader à nouveau pour atteindre 15 milliards d’euros en 2035 et 30 milliards en 2045.
Il s’agit ici, répétons-le, de chiffres « tous régimes confondus », qui mélangent donc la situation de certaines caisses largement excédentaires – celles des professions libérales par exemple – avec des caisses très déficitaires, dont la CNRACL.
Quant à la dette, elle risque de s’envoler : « L’accumulation des déficits conduirait à une augmentation de la dette du régime général de l’ordre de 350 milliards d’euros en 2045 », redoute la Cour.
CNRACL : situation « critique »
Les magistrats financiers font un focus sur la situation de la CNRACL, qui gère les pensions des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière, situation qualifiée de « plus en plus critique ».
Rappelons que tout récemment, le gouvernement a infligé une hausse de 12 points en quatre ans (dont 3 points dès le 1er janvier dernier) aux employeurs territoriaux, après une première hausse d'un point l'an dernier.
Alors que la CNRACL a été excédentaire pendant des décennies, la situation est aujourd’hui tellement mauvaise que ce régime est aujourd’hui « le plus déficitaire » de tous, avec un déficit qui s’est élevé à 2,3 milliards d’euros en 2023 et pourrait grimper à 10 milliards d’euros en 2030. La hausse des cotisations employeurs décidée par le gouvernement va, selon la Cour, « permettre de ralentir la progression du déficit mais pas de le résorber ».
On le sait en effet, les causes du déficit de la CNRACL sont multiples. Elles ont été identifiées tant par les associations d’élus que par le rapport inter-inspections paru en 2024 – et la Cour des comptes les énumère : d’abord, la dégradation du ratio entre cotisants et retraités, « passé de 3,3 en 2002 à 1,6 en 2023 ». Ensuite, rappelle la Cour, une proportion de pensions d’invalidité (9 %) bien supérieure à celle du régime général (6 %) ou du régime des fonctionnaires de l’État (5 %) – ce qui tient à la proportion importante d’agents de catégorie C exerçant des métiers pénibles dans la FPT.
Le rapport rappelle également qu’au titre de la solidarité entre régimes, la CNRACL a versé plus d’une centaine de milliards d’euros pour résorber le déficit des autres caisses – ce qui a peu à peu vidé son fonds de réserve. Encore en 2023, alors que la CNRACL était largement déficitaire, elle a dû payer 700 millions à ce titre !
La Cour pointe enfin une autre cause au déficit de la CNRACL : celle-ci couvre « par ses seules cotisations les droits non contributifs liés à des dispositifs de solidarité, comme la majoration pour enfants ». Alors que le régime général, lui, bénéficie pour cela d’un transfert de la Caisse nationale des allocations familiales.
Remise à plat
On mesure à la lecture de ce rapport la nécessité d’une « remise à plat » complète du système de retraite dans la fonction publique territoriale, remise à plat réclamée à cor et à cri par l’AMF depuis des années. Il est en effet évident que jouer, comme le souhaite le gouvernement, uniquement sur la hausse des cotisations des employeurs, est non seulement intenable pour ceux-ci à termes mais, de plus, ne résout pas le problème : « La hausse du taux de cotisation des employeurs, de 12 points au total, entre 2025 et 2028, permettrait d’augmenter les ressources du régime de 6,6 milliards d’euros en 2028. Le déficit serait alors ramené à 0,4 milliard, mais celui-ci repartirait ensuite à la hausse pour atteindre 5 milliards d’euros en 2035 puis 6 à 7 milliards en 2045 », écrivent les magistrats financiers.
Il faut rappeler qu’à partir de 2028, les cotisations employeurs à la CNRACL atteindront le taux ahurissant de 43,65 % (elles étaient de 26,1 % en 2001). Ce taux est sans commune mesure avec ce qui se pratique dans le privé, et les employeurs territoriaux sont, et de très loin, ceux qui cotisent le plus lourdement pour la retraite de leurs agents.
Il ne paraît donc pas envisageable que l’État ne trouve pas d’autres solutions que de continuer à augmenter indéfiniment le taux de cotisation à la CNRACL, ce qui non seulement ne règle pas le problème structurel du système mais, de surcroît, grève les finances des collectivités et crée de la dette : car les milliards d’euros supplémentaires que les collectivités vont devoir consacrer à ces cotisations sont autant d’argent qui n’ira pas à l’investissement, et qu’il faudra donc emprunter.
Inégalité de traitement
On ne peut que remarquer la différence de traitement, à ce sujet, entre employeurs publics et privés – y compris dans le rapport de la Cour des comptes.
Celle-ci consacre en effet un passage important aux conséquences « négatives » qu’aurait une augmentation du taux de cotisations retraites des employeurs privés. Celle-ci « constituerait un choc d’offre négatif », « accroîtrait les coûts de production », « dégraderait la compétitivité des entreprises », et se traduirait, au bout du compte, par « la destruction » de dizaines de milliers d’emplois.
Soit. Mais pourquoi ne pas appliquer aussi ces raisonnements à la hausse des cotisations pour les employeurs territoriaux ? Certes, ceux-ci ne sont pas soumis à des exigences de « compétitivité » et de « productivité » comme ceux du privé, mais cela ne signifie pas que ces hausses soient sans conséquence, y compris sur l’économie et l’emploi. Le coût de ces hausses aura, par exemple, des répercussions sur l’attractivité de la fonction publique territoriale, parce qu’il réduira les marges de manœuvre des employeurs pour améliorer le régime indemnitaire. Et si ces hausses conduisent les employeurs à devoir réduire la voilure en termes d’investissement, c’est l’économie de tout le secteur du BTP qui s’en ressentira.
Il est dommage que ces éléments ne soient, visiblement, jamais pris en compte ni dans les calculs de l’État ni dans ceux de la Cour des comptes. Et l'on remarque que celle-ci, toujours prompte à exiger des collectivités qu'elles diminuent leurs dépenses de fonctionnement, ne voit apparemment aucun inconvénient pourtant à ce que l’État augmente massivement leurs cotisations... et, par là-même, les oblige à augmenter leurs dépenses de fonctionnement. Cherchez l'erreur.
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