Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 5 avril 2022
Restauration scolaire

Un décret sur les cantines irrite profondément les représentants des élus locaux

Le décret organisant une expérimentation de la « réservation » dans la restauration collective est paru ce matin. Ce texte a été plusieurs fois rejeté par les associations d'élus, qui en ont profité pour rappeler à l'État les principes de la libre administration des collectivités locales. 

Par Franck Lemarc

Le décret paru ce matin est un texte d’application de la loi Climat et résilience, et en particulier de son article 256 qui, afin de lutter contre le gaspillage, lance une expérimentation de « solutions de réservation de repas »  dans la restauration collective, en particulier dans les cantines – l’objectif étant « d’adapter l’approvisionnement au nombre de repas effectivement nécessaires ». L’expérimentation est prévue pour trois ans. 

Décret directif

Le décret précise que les gestionnaires de restaurants collectifs qui souhaitent participer à l’expérimentation doivent transmettre un dossier au préfet de région avant le 1er juillet 2023. Ce sont ces gestionnaires, « en accord avec la collectivité de rattachement », qui piloteront l’expérimentation, via un « comité de pilotage »  associant toutes les parties prenantes. Cette expérimentation devra faire l’objet d’une évaluation en trois étapes (lors du lancement, trois mois plus tard et à la fin). L’évaluation se fera en mesurant le gaspillage « sur vingt repas successifs »  à chacune des trois étapes. Et le décret est plus que précis : « La mesure du gaspillage alimentaire est basée sur la moyenne des pesées effectuées sur chaque période exprimée en grammes par convive et par jour, en distinguant les pesées des excédents présentés aux convives et non servis exprimées en grammes par convive et les pesées des restes des assiettes exprimées en grammes par convive, et en précisant le ratio de la part non comestible rapportée à la part comestible, exprimées en grammes. » 

« Dérive » 

C’est précisément le caractère ultra-directif de ce texte qui a posé un problème de fond aux représentants des élus locaux lors de l’examen du projet de décret au Conseil national d’évaluation des normes (Cnen). À trois reprises, les services de l’État ont présenté le même texte, et à trois reprises, les élus ont reporté son examen ou rejeté le texte. 

En cause : ce que les élus considèrent comme des coups de canif répétés à la libre administration des collectivités territoriales. Avec pour premier argument que les communes n’ont pas attendu les injonctions de l’État pour mettre en place des solutions telles que celles prévues dans le décret. C’est ce qu’a fait, par exemple, la ville de Montpellier, « sans attendre la publication de la loi ou de son décret d’application ». D’ailleurs, le décret précise que peuvent se joindre à l’expérimentation des gestionnaires qui auraient déjà mis en place une solution de réservation avant le lancement de celle-ci… « Cette faculté est donc bien ouverte sans texte », ont fait valoir les élus, qui estiment non sans ironie « qu’un simple guide de bonnes pratiques aurait été plus efficient, plus respectueux du principe de libre administration et surtout moins restrictif. » 

Car le fond du problème, selon les représentants des élus au Cnen, est bien une « dérive »  constatée depuis « plusieurs années », qui conduit l’État à « lister le contenu du principe de libre administration des collectivités territoriales (…), au risque de le priver de toute portée effective ». 

C’est un réel problème de portée institutionnelle qu’ont soulevé les élus, qui ont rappelé un principe en apparence évident, mais en réalité de plus en plus remis en question : « Tout ce qui n’est pas formellement interdit par le droit est réputé être autorisé. »  Ce à quoi l’on pourrait ajouter qu’il existe un principe qui s’appelle la clause de compétence générale, qui permet aux communes d’intervenir dans toutes les matières d’intérêt général tant qu’elles n’empiètent pas sur les compétences attribuées à d’autres par la loi. 

En « autorisant »  formellement, par une loi suivie d’un décret, les communes à mener telle ou telle expérimentation, qu’elles ont en droit parfaitement le droit de mener – et qu’elles mènent –, l’État introduit de la confusion, jugent les représentants des élus. Ce qui risque de conduire progressivement à ce que les élus « croient que ce qui n’est pas autorisé est interdit »  – et non l’inverse, à savoir qu’en droit, ce qui n’est pas interdit est autorisé. 

Questions de confiance

Cette « dérive », ont poursuivi les représentants des élus au Cnen, est d’abord représentative « du manque de confiance »  de l’État « dans l’ingéniosité des collectivités pour assurer leurs propres missions ». Mais au-delà, elle témoigne « d’une modification systémique progressive de notre organisation institutionnelle dans laquelle les collectivités territoriales deviennent de simples sous-traitants de l’État ». Si cette tendance devait se confirmer, cela serait, à terme, « la négation pure et simple du principe de libre administration des collectivités locales », qui serait alors « privée de toute portée ». 

Enfin, les représentants des élus au Cnen ont complété ce rappel du droit en exprimant l’inquiétude que cette « expérimentation »  prévue par la loi débouche, in fine, sur « l’adoption de mesures contraignantes »  en matière de gestion des cantines. Ce qui serait, ont-ils alerté, « extrêmement mal perçu au niveau local, laissant penser que les collectivités territoriales ne sont pas capables d’exercer seules les compétences qui leur ont été transférées par la loi ». 

Comme c’est de plus en plus souvent le cas, le gouvernement a choisi de passer outre ces réticences répétées, et a choisi de passer en force, malgré l’avis défavorable unanimement émis par les 11 représentants des élus au Cnen. Ce qui, pour un texte dont la portée n’est pas cruciale, n’est pas la meilleure façon de démontrer son écoute et sa confiance vis-à-vis des élus locaux. 

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