Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 27 juin 2024
Élections

Rémunérer des assesseurs dans un bureau de vote : prudence !

Devant la difficulté à trouver des assesseurs pour le scrutin de dimanche, des maires finissent par se tourner vers la solution de l'incitation financière. C'est une solution qui n'est pas sans risque juridique. 

Par Franck Lemarc

C’est l’éternel casse-tête des maires à la veille d’un scrutin : il faut trouver des assesseurs pour chaque bureau de vote. Depuis plusieurs années, la chose est de plus en plus difficile, en particulier du fait de la diminution des effectifs militants des partis politiques, qui constituaient, par le passé, un vivier considérable pour trouver des assesseurs. 

Pour le scrutin organisé en toute urgence les 30 juin et 7 juillet prochains, tout est plus compliqué encore : en cette période estivale, beaucoup d’assesseurs potentiels seront en congé, ou encore occupés sur d’autres tâches prévues de longue date et liées à la période estivale (fêtes, festivals, manifestations diverses…). 

Obligations des conseillers municipaux

Rappelons tout d’abord, comme l’AMF le fait dans une note publiée le 24 juin, les règles : chaque bureau doit avoir un président (maire, maires adjoints ou conseillers municipaux dans l’ordre du tableau), au moins deux assesseurs et un secrétaire. Chaque candidat a le droit de désigner un assesseur pris parmi les électeurs du département. Si besoin, le maire désigne un ou des assesseurs supplémentaires parmi les conseillers municipaux dans l’ordre du tableau, puis parmi les électeurs de la commune si nécessaire. 

Il faut rappeler une fois de plus que les fonctions de président et d’assesseurs ont un caractère obligatoire pour les élus municipaux. En cas de refus sans excuse valable (la note de l’AMF liste les excuses pouvant être valables et celles qui ne le sont pas), le maire peut saisir le tribunal administratif qui pourra prononcer la démission d’office de l’élu, ce qui le rendra inéligible au mandat de conseiller municipal pendant un an. 

Des maires qui rémunèrent

Mais le vivier des conseillers municipaux n’est pas forcément suffisant pour pourvoir à tous les postes d’assesseurs nécessaires. D’où la tentation de certains maires, en dernier recours, de proposer une rémunération à des électeurs pour les motiver à exercer cette tâche. 

Plusieurs maires, notamment dans des grandes villes, recourent à ce moyen, comme en attestent plusieurs articles de presse récents.  C’est le cas de la ville de Nice, qui, avec 256 bureaux de vote, a besoin de plus d’un millier de personnes pour tenir les bureaux. La commune propose donc une vacation de 190 euros brut aux électeurs pour être assesseur. Même chose à Besançon, qui a recruté, selon l’AFP, 68 étudiants en CDD pour être secrétaires adjoints de bureaux de vote, rémunérés 175 euros brut. 

Problème : si certaines communes rémunèrent les présidents et secrétaires des bureaux de vote (cas de Besançon), le Code électoral ne le permet pas, en revanche, pour les assesseurs : l’article R44 du Code électoral est clair : « Les assesseurs ne sont pas rémunérés. »  Selon une circulaire du 16 janvier 2020, les présidents ne doivent pas l'être non plus. 

Il y a donc un risque juridique à offrir une compensation financière aux assesseurs comme le font un certain nombre de villes.  À Nice, on assume ce risque, comme l’explique un représentant de la mairie dans Le Figaro : « Cette pratique est rendue strictement nécessaire par le défaut de membres des bureaux de vote désignés par les candidats et les partis politiques. Les communes ne sauraient être mises en cause pour la totale inadaptation de cette disposition. » 

Il est vrai que le Conseil d’État s’est penché sur cette question et a fait preuve d’une certaine souplesse, mais dans des cas très précis. En décembre 2022, il a dû statuer sur un contentieux concernant la commune d’Avignon, où des agents municipaux, rémunérés le dimanche du scrutin pour assurer le bon fonctionnement matériel des bureaux de vote, ont été accessoirement sollicités pour être assesseurs dans quatre bureaux de vote de la commune. Dans une décision du 2 décembre 2022, le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas de faute : les agents remplissaient la condition nécessaire pour être assesseurs (à savoir être électeurs dans la commune), et ils n'ont pas été rémunérés spécifiquement pour être assesseurs – ils étaient payés pour d’autres tâches matérielles. Il apparaît donc possible, au vu de cette décision, de demander à des agents municipaux rémunérés pour la journée de compléter le jour même le bureau en occupant le poste d’assesseur, s'ils sont électeurs de la commune et à condition qu’ils ne soient pas rémunérés pour cette seule tâche.  

Un (petit) risque juridique

On voit que ce cas est différent du fait de rémunérer des électeurs – et non des agents – pour être assesseurs. Selon un professeur de droit constitutionnel interrogé par l’AFP, les communes qui ont recours à cet expédient prennent tout de même un risque : « n'importe quel électeur pourra exciper [invoquer] d'une composition illégale du bureau, saisir la préfecture ou le magistrat chargé du contrôle ». D’autres juristes estiment toutefois que « le risque que cela aboutisse est faible voire inexistant au regard des circonstances exceptionnelles de ces élections ». 

Reste que le problème demeure entier, et que certains élus souhaitent voir évoluer la loi pour autoriser la rémunération des assesseurs. C’est le cas, par exemple, de la maire de Besançon, Anne Vignot, qui le mois dernier a écrit au ministre de l’Intérieur dans ce sens. 

Rappelons, pour finir, que les maires peuvent utiliser la plateforme JeVeuxAider pour trouver des assesseurs bénévoles  (lire Maire info du 18 juin). En 2021, pour les élections régionales et départementales, la plateforme avait permis à plus de 400 maires de trouver des assesseurs. 

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