Régime indemnitaire des agents territoriaux de la santé : un décret qui force la main des collectivités
Par Franck Lemarc
Encore un décret examiné à la dernière minute par les instances consultatives et passé en force, à quelques jours de la démission du gouvernement. Les représentants des élus au Conseil national d’évaluation des normes, qui ont dû examiner ce texte en extrême urgence le 13 avril, n’ont pas mâché leurs mots pour dire tout le mal qu’ils pensaient des méthodes du gouvernement.
Revalorisation
Ce décret est un prolongement de celui du 19 septembre 2020 qui permet, dans la foulée du Ségur de la santé, d’accorder un complément de traitement indiciaire (CPI) aux agents des Ehpad ou travaillant dans le secteur du handicap. Le nouveau décret ouvre cette possibilité aux agents « exerçant des fonctions d’accompagnement socio-éducatif dans les services de PMI, de l’aide sociale à l'enfance (ASE), dans les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS) (…), dans les services départementaux d’action sociale ainsi que dans les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les centres intercommunaux d’action sociale (CCIAS) ». D’autres cadres de métiers sont concernés, allant des agents exerçant des missions d’aide à domicile à toute une série de profession médicales et paramédicales précisément listée à l’article 4 du décret.
Le décret précise que les organes délibérants des collectivités ou des établissements publics « peuvent instituer une prime de revalorisation ». Cette prime correspond à « 49 points d’indice majoré ». Pour les agents exerçant dans plusieurs établissements ou structures, elle est calculée au prorata du temps accompli dans chacun d’entre eux.
Enfin, les agents territoriaux exerçant comme médecins, notamment dans les PMI, peuvent bénéficier d’une prime de revalorisation de 517 euros brut par mois.
Interrogations des élus
Lors de la séance du Conseil d’évaluation des normes (Cnen), le collège des élus s’est montré peu satisfait tant de la méthode du gouvernement que du fond du décret.
Ce texte a en effet été examiné en extrême urgence, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, avec des délais d’examen « ne permettant pas aux membres du Cnen de se prononcer en connaissance de cause ». Les élus se sont interrogés sur « les motifs de la précipitation extrême manifestée par les ministères porteurs à prendre des projets de texte qui pourront être publiés au cours de la prochaine mandature » et se demande si ces textes ne sont pas davantage « des éléments de communication utilisés en période électorale ».
Cet « empressement » est d’autant plus dommageable que ce texte peut avoir des conséquences financières importantes, notamment pour les départements.
Libre administration
Sur le fond, des questions se posent sur le caractère réellement « facultatif » de ce dispositif et, par conséquent, sur le principe de libre administration. L’octroi de cette prime est bien facultatif, et son montant est plafonné – comme le veut la loi, qui dispose que les organes délibérants des collectivités territoriales « fixent les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’État ». II s’agit, en l’espèce, de limiter les écarts de rémunération entre les trois versants de la fonction publique.
Néanmoins, la « liberté » des collectivités d’octroyer ou non cette nouvelle prime est, selon les représentants des élus, « une fiction juridique » : « En effet, l’octroi de cette prime de revalorisation, juridiquement facultatif, est en pratique politiquement obligatoire compte tenu de la forte attente manifestée par les agents de la fonction publique territoriale concernés », attente qui sera encore davantage renforcée par la publication même du texte ! Autrement dit, la publication de ce décret, sous couvert de libre choix, est une façon de forcer la main aux collectivités, déplorent les élus.
Lors de cette séance du Cnen, les représentants des élus ont demandé qu’une réflexion soit menée « par le prochain gouvernement » sur cette question de la corrélation indemnitaire entre les trois versants de la fonction publique. Ils se demandent si une « décorrélation partielle » ne pourrait pas être décidée, ce qui donnerait davantage de marges de manœuvre aux exécutifs locaux et donnerait « une réelle portée au principe de libre administration ». Cette proposition fait toutefois débat chez les élus eux-mêmes, tous n’étant pas convaincus de son utilité et certains craignant même qu’elle puisse être contreproductive. Le débat est ouvert.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Soutien aux librairies : consultation publique sur le prix minimum de livraison des livres
Penser le futur de l'action publique locale au regard de la crise sanitaire
Empreinte environnementale du numérique : la fibre beaucoup moins énergivore que le cuivre