Réforme des retraites : une crise politique qui ne se résout pas
Par Franck Lemarc
Neuf voix. C’est ce qui a manqué à la motion de censure déposée par le groupe Liot à l’Assemblée nationale pour renverser le gouvernement, hier, après avoir rallié toutes les voix de la Nupes et du Rassemblement national, quatre non-inscrits sur cinq et 19 députés LR sur 61. D’un point de vue strictement institutionnel, la Première ministre a donc réussi son pari, même de justesse, puisque la réforme des retraites est adoptée. D’un point de vue politique, c’est une autre histoire.
Gouvernement affaibli, majorité absente
L’ambiance était quelque peu surréaliste à l’Assemblée nationale, hier, entre 16 heures et 19 heures, de très nombreux députés de la majorité ayant fait le choix de ne pas être présents. Certes, leur présence n’était pas obligatoire, puisque lors du vote des motions de censure, seules les voix « pour » sont comptabilisées. Il n’empêche : Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, et Élisabeth Borne elle-même à la fin des débats, se sont exprimées dans un silence glacial, ne recueillant que les faibles applaudissements des quelques dizaines de députés Renaissance présents.
Les oppositions, en revanche, se sont montrées très offensives – entre l’oratrice du Rassemblement national lançant à ses troupes « Tenez bon, 2027 n’est plus très loin ! », celle de LFI comparant Emmanuel Macron à l’empereur romain Caligula, ou Olivier Marleix, pour Les Républicains, s’en prenant frontalement au président de la République et à sa « méthode ».
Au final, donc, un tiers des députés LR ayant choisi de ne pas suivre les consignes de leur président de groupe de ne pas voter la motion de censure, le gouvernement a senti le vent du boulet. Ce qui pose, naturellement, la question de la survie du gouvernement et de sa Première ministre, politiquement très affaiblie, dans les jours et les semaines à venir, alors que plusieurs textes très importants, notamment sur le travail, l’immigration, les institutions, doivent être présentés.
On imagine cependant que des décisions ne seront sans doute pas prises avant la fin complète du parcours de la loi portant réforme des retraites. Celle-ci doit maintenant être examinée par le Conseil constitutionnel, saisi à la fois par les oppositions et le gouvernement lui-même. Les Sages ont un mois pour rendre leur avis, sauf si le gouvernement déclare l’urgence, et réduit ce délai à huit jours.
Des manifestations peu fournies mais violentes
En attendant, la question parlementaire étant pour l’instant réglée, c’est dans la rue que le gouvernement doit à présent tourner son attention, avec le maintien de grèves et de manifestations sporadiques et parfois violentes.
Hier, après l’annonce du rejet de la mention de censure, des rassemblements non déclarés se sont formés à Paris, Strasbourg, Dijon, Lyon, Rennes, Saint-Étienne, Lille, Bordeaux, Limoges, Poitiers, Rouen, Brest… Le seul point rassurant pour l’exécutif est que ces manifestations, à chaque fois, ne rassemblent que peu de monde – pas plus de quelques centaines de personnes. Mais il s’agit le plus souvent de jeunes, non encadrés et déterminés, ce qui occasionne quelques dégradations et des heurts avec les forces de l’ordre.
Si, comme cela semble en prendre le chemin, ces manifestations sauvages, organisées sur les réseaux sociaux, devaient devenir quotidiennes, un réel problème de maintien de l’ordre – et de disponibilité des forces de l’ordre – va se poser au gouvernement.
Grèves : les raffineries à l’arrêt
Sur le terrain des grèves, enfin, c’est aujourd’hui la question des raffineries qui attire tous les regards. Selon les syndicats, il n’y a « plus aucun produit qui sort » de l’ensemble des sept raffineries du pays, dont certaines sont en grève à « 90 % ». Jusqu’à présent, seules les expéditions étaient bloquées, mais désormais, c’est également la production elle-même qui s’arrête, peu à peu.
Ce sont pour l’instant les régions Paca et Occitanie qui sont les plus touchées par les conséquences de ce mouvement, avec un début de pénurie dans les stations-services, qui a obligé les préfets du Vaucluse, du Var, du Gard et des Alpes-de-Haute-Provence à prendre de premiers arrêtés de restriction.
De nombreuses actions coups de poings et blocages continuent de se dérouler un peu partout dans l’Hexagone, pour faire la jonction avec la journée de grève nationale et de manifestations appelée jeudi par l’intersyndicale, qui ne désarme pas.
On apprend ce matin que le président de la République, Emmanuel Macron, va s’exprimer demain à 13 h à la télévision, non sous la forme d’une allocution solennelle mais en répondant aux questions de deux journalistes de TF1 et France 2. Avec la très difficile mission, comme l’a exprimé la députée Renaissance Aurore Bergé, de « retisser le lien » avec des Français très majoritairement opposés à la réforme des retraites et choqués par les méthodes employées par le gouvernement.
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