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Édition du vendredi 17 mars 2023
Réforme des retraites

Réforme des retraites : situation politique très incertaine au lendemain du 49.3

Le chef de l'État a tranché : faute de la certitude de trouver une majorité à l'Assemblée nationale pour voter le texte portant réforme des retraites, la Première ministre a déclenché l'article 49.3 de la Constitution et engagé la responsabilité de son gouvernement. Et maintenant ?

Par Franck Lemarc

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© Ass. Nat.

Le suspens aura duré jusqu’aux toutes dernières minutes avant l’ouverture de la séance à l’Assemblée nationale où devait avoir lieu, hier, le vote final sur le texte de la commission mixte paritaire, que le Sénat avait adopté un peu plus tôt dans la journée. Finalement, Emmanuel Macron a convoqué un Conseil des ministres extraordinaire pour habiliter sa Première ministre à utiliser le 49.3.

« Risque financier » 

Le matin, au Sénat, le texte était sans surprise passé assez largement (193 pour, 114 contre). Le texte voté était celui de la commission mixte paritaire (CMP), additionné d’un amendement de dernière minute élaboré par le gouvernement – ce que permet la Constitution, seul le gouvernement pouvant autoriser l’ajout d’amendements au texte de la CMP. Les sénateurs de l’opposition se sont toutefois agacés que le Sénat doive se prononcer sur un long amendement financier, présenté en séance, et que personne n’avait eu le temps d’étudier. 

Dans les heures qui ont suivi, le gouvernement a continué de faire les comptes pour tenter de s’assurer d’une majorité à l’Assemblée nationale. En vain : en début d’après-midi, l’exécutif estimait qu’il risquait au final de manquer trois voix pour obtenir la majorité. Si certains membres du gouvernement et députés de la majorité souhaitaient prendre ce risque et aller au vote, pour ne pas donner l’impression d’un passage en force, le président de la République en a décidé autrement, expliquant, selon ce qui est ressorti du Conseil des ministres, que cette réforme était indispensable eu égard au « risque financier »  que court le pays. La logique du chef de l’État est que si la France se montre incapable d’aller au bout des « réformes » , sa note financière se dégradera sur les marchés internationaux, avec un risque de montée en flèche des taux d’intérêt. Un argument encore jamais invoqué par le gouvernement depuis le cette crise.

« Un vote aura lieu » 

La Première ministre a donc fait son entrée dans un hémicycle surchauffé pour officialiser la décision, dans une telle bronca qu’Élisabeth Borne dira après n’avoir même pas entendu le son de sa propre voix. Elle a fustigé, tour à tour, chacune des oppositions – la droite « incohérente » , la Nupes qui a « tout fait pour bloquer le débat » , le RN « mutique, tapi dans l’ombre, profitant en silence des outrances des uns et des revirements des autres » . Pour ne pas voir « 175 heures de débat parlementaire s’effondrer (ni) le compromis bâti par les deux Assemblées écarté » , elle a engagé la responsabilité de son gouvernement. Pour rejeter, d’avance, le reproche de faire passer un texte sans vote, la Première ministre a évoqué les motions de censure qui « répondront »  à ce 49.3, et conclu : « Un vote aura donc bien lieu, comme il se doit. » 

Ce qui ne suffira pas, naturellement, à calmer la colère des oppositions, dont les porte-parole se sont succédé dès la fin de cette séance houleuse pour dénoncer le « passage en force », le « déni de démocratie » , ou encore le fait que c’est la première fois dans la Ve République qu’un texte est imposé au 49.3 sans avoir fait l’objet d’un seul vote à l’Assemblée nationale. 

Beaucoup de parlementaires – y compris proches de la majorité – disent également craindre que cette décision alimente à la fois la contestation dans la rue et la perte de confiance des citoyens dans les institutions. 

Motions de censure

Comme le veut l’article 49 de la Constitution, le texte ne sera considéré comme adopté qu’après le rejet d’une motion de censure déposée dans les 24 h qui suivent l’annonce de la Première ministre. Les oppositions ont donc jusqu’à 15 h 20 aujourd’hui pour déposer une ou plusieurs motions de censure. Hier, il devait y en avoir trois : une de la Nupes, une du Rassemblement national, et une du groupe centriste Liot, sous la houlette de Charles de Courson. Mais ce matin, LFI a annoncé qu'elle se ralliait à la motion du groupe Liot, « pour donner toutes ses chanches à la censure »  Le RN a, quant à lui, annoncé qu’il voterait « toutes les motions de censure » . Celle du groupe Liot pourrait donc recueillir les voix de la Nupes et du RN, ce qui représenterait au total 257 voix (149 Nupes, 88 RN et 20 Liot). La majorité absolue – nécessaire pour faire adopter une motion de censure – étant à 287, il manquerait encore une trentaine de voix pour faire tomber le gouvernement, qu’il faudra aller chercher dans le groupe des 61 députés LR. 

La direction de ce groupe a été, hier, parfaitement claire : Éric Ciotti et Olivier Marleix ont déclaré dans l’après-midi qu’ils avaient décidé de ne soutenir « aucune motion de censure », pour ne pas « ajouter du chaos au chaos ». Cela suffira-t-il pour qu’une partie des députés LR ne votent pas les motions de censure ? Rien n’est moins sûr.

La situation reste donc très incertaine. Si l’hypothèse d’une adoption de la motion de censure Liot (lundi ou mardi), n’est pas la plus probable, la journée d’hier a montré combien il est risqué de faire des paris, dans la période actuelle, sur le vote individuel des députés LR. 

Cette situation laissera, de toute façon, des traces durables. Même si le gouvernement ne tombe pas, les événements de ces dernières semaines risquent d’obérer pour longtemps sa capacité à agir et à légiférer.
 

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