Référendum d'initiative partagée : de quoi parle-t-on ?
Par Franck Lemarc
Le président de la République, Emmanuel Macron, a dit hier soir souhaiter que « la réforme des retraites puisse aller au bout de son cheminement démocratique ». Ce « cheminement » passera-t-il par un référendum ? C’est en tout cas ce que souhaitent les députés de la Nupes, qui ont lancé une procédure dans ce sens, vendredi.
Fenêtre de tir
Ces députés ont en effet déposé vendredi sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, une proposition de loi en ce sens, signée, ont-ils annoncé, par 252 parlementaires.
Ils ont donc passé la première étape – la moins compliquée – de la procédure prévue depuis 2008, dite de « référendum d’initiative partagée » : la Constitution, à l’article 11, prévoit en effet que cette procédure peut être engagée sur une proposition de loi signée par « un cinquième des membres du Parlement ». Le Parlement, c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat, compte 925 membres (577 députés et 348 sénateurs), ce qui place la barre à 185. Avec 252 signatures, ce seuil est largement atteint.
Deuxième étape : après que la présidente de l’Assemblée nationale aura statué pour savoir si la proposition de loi est recevable ou non, celle-ci sera examinée par le Conseil constitutionnel, afin de définir si oui ou non, la proposition entre dans le champ des textes susceptibles d’être soumis à référendum : la Constitution dispose en effet que seuls peuvent être soumis à un éventuel référendum d’initiative partagée les textes « portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
La proposition de loi déposée par la Nupes n’a pas été rendue publique, mais d’après ce qu’en disent ses auteurs dans la presse depuis vendredi, elle vise à rendre impossible le report de l’âge légal de la retraite au-delà de 62 ans. Il s ‘agit donc bien d’un texte relatif à « la politique sociale de la nation », conforme donc à l’article 11 de la Constitution.
Reste une autre condition, avant même le recueil des soutiens populaires, et qui va ressembler à une course contre la montre. La proposition de loi éventuellement soumise à RIP ne peut, dit la Constitution, « avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an ». Il semble donc que la proposition de loi serait recevable si elle était déposée pour avis devant le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi portant réforme des retraites. En effet, dans un avis rendu en 2019, le Conseil constitutionnel a clairement établi que ce critère est estimé « à la date d’enregistrement de la saisine ». Si, à cette « date d’enregistrement », la réforme des retraites n’a pas été promulguée, on ne peut dire que la proposition de loi déposée par la Nupes vise à la faire abroger… Il y a donc là une très étroite fenêtre de tir que l’opposition ne souhaite pas manquer.
Pas de « suspension »
Si le Conseil constitutionnel donne son accord, la procédure de recueil des soutiens pourra démarrer. En effet, l’article 11 de la Constitution dispose qu’en plus du soutien du cinquième des parlementaires, la proposition de loi doit recueillir celui d’un dixième du corps électoral. Le corps électoral était de 48,7 millions d’électeurs au moment de la présidentielle de 2022, il est donc certainement un peu plus élevé aujourd’hui. Il faudrait donc autour de 4,9 millions de soutiens pour aller au bout de la procédure, recueillis sous neuf mois.
Le lancement d’un telle consultation aurait-il pour effet de suspendre « automatiquement » l’application de la réforme, comme l’ont affirmé certains porte-parole de la Nupes ? Absolument pas. Rien de tel ne figure ni dans la Constitution ni dans la loi organique du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution. D’ailleurs, les parlementaires qui ont affirmé un peu vite cette « suspension » ont eux-mêmes reculé, se contentant désormais de demander au chef de l’État de suspendre la promulgation le temps nécessaire. Ce n’est, toutefois, pas possible : une fois la loi votée, ou le cas échéant confirmée par le Conseil constitutionnel, le président de la République doit la promulguer sous quinze jours. Sauf à demander au Parlement de se prononcer à nouveau sur le texte adopté – ce qui, reconnaissons-le, est assez peu probable.
Pas non plus de référendum automatique
C’est la loi organique du 6 décembre 2013 qui fixe les règles du recueil des « soutiens » à la proposition de loi. Les 4,9 millions d’électeurs nécessaires doivent apporter leur soutien « par voie électronique ». Pour permettre aux électeurs ne disposant pas d’internet de s’exprimer, il sera alors obligatoire de mettre à leur disposition un poste informatique « au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ». Tout électeur peut présenter un soutien sur papier et demander à le faire enregistrer « par un agent de la commune ».
Dernière question : l’obtention des 4,9 millions de soutien entraîne-t-elle automatiquement l’organisation d’un référendum ? Là encore, la réponse est non, contrairement à ce que laissent entendre certains parlementaires. Une fois que les soutiens nécessaires ont été obtenus (ce qui doit être prononcé par le Conseil constitutionnel et publié au Journal officiel), le texte doit être examiné « au moins une fois par chacune des deux assemblées dans un délai de six mois ». C’est uniquement si cette condition n’est pas réalisée que le président de la République est obligé d’organiser un référendum. Autrement dit, il suffit de faire passer le texte devant les deux assemblées pour qu’il n’y ait pas de référendum, même si le texte est rejeté par le Parlement.
Toutes ces conditions étant ce qu’elles sont, on ne peut que constater qu’il y a relativement peu de chances que cette procédure puisse conduire à l’annulation de la réforme des retraites.
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