Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 29 octobre 2019
Laïcité

Proposition de loi sur le voile dans les sorties scolaires : les enjeux du débat

C’est aujourd’hui que va être débattue, en séance publique au Sénat, la proposition de loi des Républicains « tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation ». Cette proposition de loi, qui vise clairement à interdire le port du voile par les accompagnatrices de sorties scolaires, intervient dans un contexte tendu sur cette question, et marqué de plus, hier, par l’attentat raciste commis contre une mosquée à Bayonne. 
Cette proposition de loi a été déposée en juillet par Jacqueline Eustache-Brinio (LR, Val-d’Oise), c’est-à-dire bien avant l’affaire très médiatisée de l’intervention d’un élu RN dans l’enceinte du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté (lire Maire info du 16 octobre 2019). La sénatrice a en fait transformé en proposition de loi un amendement que les sénateurs avaient introduit dans le projet de loi École de la confiance, et qui avait été supprimé en commission mixte paritaire.

La proposition de loi
Le texte proposé est bref. Il est proposé de modifier le Code de l’éducation sur deux points. Premièrement, en complétant l’article L111-1, qui définit les missions du service public de l’éducation, dont « la liberté de conscience et la laïcité ». La loi spécifie déjà que « dans l’exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en œuvre ces valeurs ». Les sénateurs proposent d’ajouter : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. »  Deuxièmement, il est suggéré de modifier l’article 141-5-1, créé par la loi de 2004, et qui proscrit les signes manifestes d’appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent ajouter : « La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement. » 

Pourquoi une loi ?
Les auteurs de ce texte expliquent vouloir combler un « vide juridique ». Le Conseil d’État a en effet rappelé que la catégorie – souvent utilisée, à tort – « d’auxiliaire »  ou de « collaborateur occasionnel »  du service public n’a pas d’existence juridique. Il y a des agents publics, qui sont soumis à une exigence de neutralité religieuse ; et le reste des citoyens, qui n’y sont pas soumis. Entre les deux, point de catégorie intermédiaire, avait rappelé le Conseil d’État, qui avait donc renvoyé toute décision, en la matière, aux chefs d’établissements. 
Or, ont rappelé les porteurs de ce texte en commission des lois du Sénat, la semaine dernière, ces chefs d’établissements « se sentent bien seuls ». « Il convient de mettre un terme à l’inconfort juridique dans lequel se trouvent directeurs d’écoles et chefs d’établissements », a plaidé le rapporteur du texte, Max Brisson (LR, Pyrénées-Atlantiques). « Les représentants des chefs d'établissement nous ont clairement dit [lors des auditions] qu'en tant que législateurs nous devions prendre nos responsabilités », a surenchéri Stéphane Piednoir (LR, Maine-et-Loire).
L’examen du texte en commission a fait apparaître les profonds clivages existant sur cette question : si la gauche, globalement, est opposée à ce texte, afin de ne pas stigmatiser une partie de la population (« ce type de loi est inutile, complique le paysage politique et social et perturbe la sérénité de notre pays », a par exemple plaidé le socialiste Jacques-Bernard Magner, du Puy-de-Dôme), une partie de la droite et du centre sont divisés. Un orateur du groupe Union centriste a reconnu que celui-ci est « embarrassé »  et qu’une partie de ses membres votera pour tandis que l’autre s’abstiendra. Un sénateur LR s’est dit « partagé entre la fidélité à [son] groupe et [son] honnêteté intellectuelle ».

Quelles conséquences sur les sorties ?
En commission, la question – souvent soulevée – des conséquences que pourrait avoir cette loi, si elle était adoptée, sur l’organisation des sorties scolaires, n’a pas été abordée. Nombreux sont pourtant ceux qui pointent du doigt le fait quand dans certains quartiers, interdire aux mères voilées d’accompagner les sorties reviendrait à empêcher celles-ci de se tenir, faute d’autres candidates. Dans son rapport, toutefois, Max Brisson a voulu répondre à cette question : « Votre rapporteur est conscient des difficultés que pourrait entraîner l'adoption de cette proposition de loi pour l'organisation de certaines sorties scolaires. Toutefois, d'autres adultes que les parents peuvent être sollicités. » Il a cité les Atsem et les délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN). Cette proposition a de quoi surprendre, dans la mesure où les Atsem sont, d’une part, déjà débordées de travail la plupart du temps ; et surtout qu’elles seraient en nombre totalement insuffisant pour exercer cette tâche nouvelle, dans la mesure où, par exemple, pour une sortie en maternelle de 30 enfants, il faut 4 accompagnateurs (comme le précise la circulaire du ministère du 21 septembre 1999). 
Le débat d’aujourd’hui permettra de connaître – ou de confirmer – la position du gouvernement. Elle ne fait guère de doute : Édouard Philippe, le Premier ministre, a récemment déclaré que pour lui, « une loi n’était pas l’enjeu ». Ce matin encore, sur Europe 1, le ministre chargé des Relations avec les collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, s’est étonné que l’on puisse vouloir « toucher à la loi à cause d’un fait divers dans un conseil régional ».

Franck Lemarc
 

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