Projet de loi immigration : les règles du regroupement familial encore durcies
Par Franck Lemarc
C’est le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a présenté le texte en ouverture de la séance publique hier – bien que ce projet de loi soit également porté par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, et celui du Travail, Olivier Dussopt. Mais le premier était malencontreusement empêché par un rendez-vous avec la Cour de justice de la République, tandis que le second, depuis plusieurs mois, semble de moins en moins souhaiter être associé à un texte dont il ne partage pas le durcissement.
« Co-construire ensemble un texte ferme, juste et efficace. » C’est l’ambition du ministre de l’Intérieur, exprimée hier devant les sénateurs. Fermeté « contre les personnes qui ne respectent pas les règles, (…) contre les passeurs, (…) contre les marchands de sommeil », car « être marchand de sommeil, c’est être un criminel », a déclaré le ministre. Mais aussi fermeté « contre les patrons voyous, qui embauchent sciemment des salariés en situation irrégulière ». Gérald Darmanin a également plaidé que ce « ce texte n’est pas dépourvu d’humanité », citant un seul exemple : « Le gouvernement propose que les enfants de moins de 16 ans ne soient plus envoyés dans des centres de rétention administrative. »
Il a indiqué que le gouvernement n’était « pas fermé » aux évolutions, et qu’il « soutiendra des amendements d’où qu’ils viennent ». Il a également listé une partie des amendements qu’il présentera lui-même : notamment l’allongement de la durée de la peine d’interdiction de retour sur le territoire national de cinq à dix ans ; ou le fait qu’un étranger irrégulier qui fait une demande d’asile « attende la réponse en rétention ».
Discussion générale
Après le discours de présentation du ministre, le Sénat a examiné plusieurs motions. Celle du PCF et celle des écologistes, d’abord, demandant le retrait du texte au motif qu’il serait inconstitutionnel, « portant atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution ». Après les avoir rejetées, le Sénat a examiné la demande de renvoi en commission portée par le PS : les socialistes estiment que l’évolution des positions du gouvernement, entre le mois de mars où le texte a été déposé, et aujourd’hui, et qui se matérialise par l’ajout de presque 30 amendements gouvernementaux, justifie que la discussion reprenne en commission. Motion rejetée.
Lors de la discussion générale qui a suivi, chacun a donné son point de vue sur ce texte, sans surprise : la gauche l’estime trop dur, « inhumain », voire inutile (« aucun mur, physique ou administratif, n’a jamais empêché l’être humain de se déplacer pour sa survie ». À l’inverse, la droite et l’extrême droite jugent le texte « trop modéré », « manquant de souffle » et de « courage ». « Nous voterons un texte efficace, durci dans le sens de l'intérêt national, comme le demandent les Français d'en bas. Mais nous nous opposerons à un texte où l'ambiguïté persiste », a prévenu Bruno Retailleau pour Les Républicains. Les LR ont en effet prévenu qu’ils rejetteraient le texte si celui-ci n’était pas expurgé de l’article 3, qui prévoit la régularisation temporaire et cas par cas des étrangers en situation irrégulière travaillant dans les métiers en tension.
« Actions des collectivités »
C’est ensuite l’examen du texte lui-même qui a débuté, texte qui, rappelons-le, a déjà été durci par la commission des lois du Sénat (lire Maire info d’hier). En séance, le premier amendement adopté vient du sénateur ex-Rassemblement national Stéphane Ravier, avec avis favorable du gouvernement : il rend obligatoire la tenue d’un débat annuel au Parlement sur l’immigration, alors que ce débat était facultatif dans le texte de la commission.
Le texte de la commission prévoit que le gouvernement élabore chaque année un rapport fournissant au Parlement un grand nombre de données sur l’immigration, comprenant le nombre de titres de séjour accordés et rejetés dans l’année, le nombre de mineurs placés en rétention, les nombres d’OQTF (obligations de quitter le territoire français) et leur exécution, etc. Par amendement, hier, le Sénat a adopté le fait que ce rapport précise également « les actions des collectivités territoriales en faveur de l'intégration ». Ce qui laisse supposer, si cette disposition subsiste, que les collectivités devront rédiger chaque année un rapport sur la question, ou tout du moins fournir à l’État des données.
Regroupement familial
Le Sénat a rejeté un amendement de Stéphane Ravier proposant tout simplement de supprimer le regroupement familial (« Nous pouvons avoir besoin ponctuellement d'étrangers, mais pas de leur famille », a expliqué le sénateur des Bouches-du-Rhône), tout comme il a rejeté les demandes de la gauche de supprimer les mesures de durcissement du regroupement familial adoptées en commission.
En revanche, il a adopté – toujours avec le soutien du gouvernement – un autre amendement « tendant à compléter le dispositif relatif au durcissement des conditions d’accès au regroupement familial ». Aujourd’hui, la loi prévoit qu’un étranger ne peut demander à être rejoint par son conjoint que si celui-ci a plus de 18 ans. L’amendement adopté passe cet âge minimal à 21 ans, et impose également cette limite d’âge à l’étranger demandeur. Il s’agit, expliquent les auteurs de l’amendement, d’une disposition visant à lutter contre les mariages forcés. Rappelons qu’en commission, il a été décidé que le regroupement familial ne pourrait être demandé qu’après 24 mois de présence sur le territoire, au lieu de 18 actuellement. Et qu’il reviendrait aux maires de vérifier les conditions de ressources et de logement des étrangers demandeurs du regroupement familial sur leur commune. La loi impose en effet que le regroupement familial ne puisse être accordé que si la personne dispose « d’un revenu stable et suffisant » et d’un « logement normal ». À ce sujet, un autre amendement adopté hier interdit de prendre en compte les APL « pour apprécier les ressources du demandeur ». « Il convient en effet que la personne demandant le regroupement familial dispose de ressources suffisantes pour que l’accueil de sa famille ne présente pas une charge financière excessive pesant sur la collectivité », expliquent les rapporteurs.
Les débats continuent aujourd’hui sur ce texte, et dureront jusqu’au 14 novembre. En toute logique, le très contesté article 3 sur les métiers en tension devrait être examiné aujourd’hui ou demain. Mais il semble que le gouvernement ait décidé d’utiliser une manœuvre – certes permise par le règlement du Sénat – pour retarder son examen. Le gouvernement a en effet le droit de demander une « priorité » ou une « réserve » sur article. La priorité consiste à faire discuter un article plus tôt que ce qui est prévu dans l’ordre d’examen, la réserve consistant, à l’inverse, à le faire discuter plus tard. Pour se donner le temps des négociations avec les centristes et la droite, le gouvernement aurait l’intention de réserver l’article 3 pour un examen, au moins, vendredi. L’enjeu est d’importance, cet article 3 conditionnant le vote ou non du texte par le groupe LR, c’est-à-dire, vu la majorité dont dispose LR, l’adoption ou le rejet de ce projet de loi par le Sénat.
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