Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 21 septembre 2020
Lois

Projet de loi Asap : ce qu'il faut retenir du texte de la commission spéciale 

« Il n’y aura pas de plan de relance efficace s’il n’y a pas de transformation de l’action publique », scandait la semaine passée Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, lors de l’examen du projet de loi dit « Asap »  – pour « accélération et simplification de l’action publique »  – par la commission spéciale de l’Assemblée nationale.
Une entrée en matière explicite pour ce texte adopté en première lecture au Sénat le 5 mars, avant que le covid-19 ne vienne perturber – et finalement nourrir – les travaux parlementaires. Outre sa motivation première – répondre aux attentes des Français à l’issue du grand débat national –, le projet de loi Asap est devenu, avec la crise mondiale résultant de la pandémie, l’un des vecteurs du plan de relance du pays. A l’origine, le texte devait surtout consacrer une « nouvelle étape de transformation de l’action publique », avec trois engagements prioritaires : « encourager une administration plus simple avec la suppression ou le regroupement de près de 90 commissions consultatives »  (sur 394 au total) ; « développer une administration plus proche des citoyens »  (objectif initial : 99 % de décisions administratives individuelles prises au niveau déconcentré « d’ici juin 2020 » ) ; et enfin, « rendre certaines démarches administratives plus efficaces et plus rapides »  pour les particuliers comme les entreprises. Et ce sont finalement ces dernières qui sont particulièrement servies, l’urgence économique appuyant leurs demandes constantes de souplesse et d’accélération des procédures. Baptisé sans ironie « Asap »  – référence à l’expression anglaise as soon as possible –, ce projet de loi vise ainsi, au nom de la simplification, à desserrer l’étau des normes encadrant l’activité économique. 

Dérégulation environnementale : des sites « clés en main »  pour les industriels
Et c’est en matière environnementale que cette volonté de dérégulation est la plus flagrante, à rebours des préoccupations actuelles tenant au réchauffement climatique.
Moins d’un an après l’explosion de l’usine Lubrizol près de Rouen, le texte gouvernemental reprend ainsi une partie des préconisations du rapport de Guillaume Kasbarian, député de l’Eure-et-Loir devenu rapporteur du projet de loi, visant à offrir « clés en main »  des sites purgés de toute autorisation aux industriels souhaitant s’implanter sur le territoire national (lire Maire info du 24 septembre 2019). Concrètement, le dispositif vise à « sécuriser »  leurs projets, en figeant l’état du droit au moment du dépôt des demandes d’autorisation en matière d’urbanisme, d’environnement, mais aussi d’archéologie préventive. Objectif, donc : libérer le porteur de projet des réglementations qui pourraient s’ajouter au fil de l’eau. Dans le même sens, les préfets pourront, dans certains cas, déroger aux règles de concertation du public autour de ces projets, en optant pour une participation du public par voie électronique en lieu et place d’une enquête publique. Autre proposition devant favoriser des reconversions express de sites pollués : faire attester par un bureau d’études certifié de l’effectivité de la mise en sécurité du site visé, de la pertinence des mesures proposées pour la réhabilitation du site, ainsi que leur mise en œuvre.
Une autre proposition du projet de loi fait grincer des dents les associations environnementales : la généralisation des possibilités de recrutement d’agents contractuels de droit privé, pour exercer les missions des agents assermentés de l’Office national des forêts (ONF) – y compris la recherche et la constatation des infractions pénales en matière forestière. Selon une lettre ouverte signée d’un collectif d’associations et de syndicats, si cette disposition est adoptée, c’est toute la politique de protection des forêts qui s’en trouvera affaiblie. « Depuis 30 ans, le nombre de gardes forestiers assermentés est passé de 9 000 à 3 000 sur l’ensemble des forêts publiques soit 10 % du territoire. L’application en l’état de l’article 33 de la loi ASAP permettrait d’en réduire encore fortement le nombre au détriment de la protection des écosystèmes forestiers. ».
Autre boîte de Pandore ouverte par le texte de la commission, cette fois dans le champ de la commande publique : le relèvement du plafond des marchés publics sans formalités. Déjà rehaussé temporairement à 70 000 euros par un décret du 22 juillet (contre 40 000 euros auparavant) pour les marchés de travaux, l’objectif final serait de 100 000 euros, pour le rapporteur du projet de loi. Autre annonce surprenante, traduite dans le texte de la commission : l’intérêt général pourrait devenir un motif de dispense de publicité et de mise en concurrence.

Chasse à la commission, opération déconcentration 
Quant à la promesse de simplification administrative, le texte « supprime ou regroupe 18 commissions consultatives pour lesquelles une disposition législative est nécessaire », selon l’exposé des motifs du projet de loi. Un travail entamé avec deux décrets de décembre 2019, ayant déjà supprimé 53 commissions. Sont notamment visées par le projet de loi : la commission scientifique nationale des collections – sauvée par le Sénat en première lecture –, et la commission consultative nationale paritaire des baux ruraux, dont la suppression a aussi été rétablie par des amendements additionnels du gouvernement. Autres instances visées : la commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, ou la commission supérieure du numérique et des postes – une instance parlementaire commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, curieusement financée par Bercy, mais dont l’utilité n’est plus à démontrer. A noter que la commission spéciale a au passage supprimé l’article 16 bis du texte issu du Sénat, qui visait à porter à 50 % la part des élus locaux dans les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. 
Un autre objectif du texte était de rapprocher l’administration de ses usagers, en déconcentrant certaines mesures administratives individuelles prises jusqu’ici par l’administration centrale, et intervenant en matière économique, culturelle et sanitaire. A ce titre, le Sénat s’est opposé à la déconcentration des décisions d’attribution des labels de la création artistique (art. 17) (lire Maire Info du 16 mars). Autres mesures visées par ce mouvement de déconcentration dans le champ culturel : la convention permettant l'exonération de droits de mutation à titre gratuit pour les propriétaires de monuments historiques s’engageant à les ouvrir au public et à ne pas les vendre. En matière d’archéologie préventive, le texte prévoit également que le préfet de région puisse trancher en cas de litige entre l’aménageur et l’Institut national de recherches archéologiques préventives.
Nouveau sujet d’inquiétude, apparu lors des débats en commission spéciale : un amendement du gouvernement vise à instaurer une « faculté de mutualisation de fonctions support »  entre établissements publics exerçant des missions similaires sur des périmètres géographiques différents. Destiné à l’origine aux seules autorités régionales de santé, « il est apparu que la mesure pourrait être utilement mise à profit par des établissements jumeaux ou voisins intervenant dans des champs géographiques différents, comme les agences de l’eau, les parcs nationaux, les établissements publics fonciers et les établissements publics d’aménagement mais aussi les ports maritimes », a exposé Amélie de Montchalin en commission, annonçant un décret ultérieur pour définir, notamment, les « fonctions support »  concernées. Le texte sera examiné en séance publique le 28 septembre : les débats promettent d’être houleux, et les cavaliers législatifs… nombreux.

Caroline Saint-André

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