Projet de loi 4D : les représentants des élus profondément déçus
Par Franck Lemarc
Le 1er avril, une séance spécifique du Cnen a eu lieu pour examiner le projet de loi 4 D – de son nom officiel « relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale » (on notera au passage que le quatrième « D », pour décomplexification, n’apparaît plus dans l’intitulé du texte). Le compte-rendu de cette réunion n'est rendu public que depuis quelques jours.
En présence de la directrice de cabinet de la ministre Jacqueline Gourault et du directeur général des collectivités locales, les élus ont pu exprimer leur avis sur un texte qui, le gouvernement le reconnaît lui-même, n’est pas « une nouvelle vague de décentralisation » mais un projet de loi visant à « adapter le droit aux spécificités locales ».
« Manque d’ambition »
C’est précisément là où le bât blesse : les associations d’élus – et elles le disent depuis longtemps – souhaitaient une nouvelle étape de la décentralisation, et fustigent le « manque d’ambition » de ce texte. « Les collectivités territoriales ayant fait la preuve de leur efficacité durant la crise sanitaire aux côtés de l’État, il apparaît désormais nécessaire de franchir une nouvelle étape de la décentralisation marquée par une clarification des compétences entre l’État et les collectivités territoriales », ont déclaré les représentants des élus au Cnen. Ce n’est pas ce que permettra ce projet de loi.
Si les élus ont salué « certaines avancées » figurant dans le projet de loi notamment sur « la fluidification des relations entre les collectivités et les services de l’État », ils « constatent » que le texte « n’est pas à la hauteur des objectifs ambitieux initialement fixés par le gouvernement » et « n’a qu’une ambition décentralisatrice limitée ». En particulier, le projet de loi ne prévoit aucun nouveau transfert de compétences d’ampleur.
« Pas de leçons tirées » de la crise sanitaire
Par ailleurs, les quelques transferts prévus dans le texte n’ont pas été décidés à la demande des collectivités concernées, mais sur décision du gouvernement - une approche « descendante » dénoncée par les élus. Exemple typique : le transfert expérimental de certaines routes du réseau concédé « n’a pas été demandé par une majorité de régions dans le cadre de la concertation avec le gouvernement ».
Mais c’est sur la santé que les élus se montrent le plus déçus : « Le gouvernement, estiment-ils, n’a pas tenu compte des leçons tirées de la crise sanitaire. » Les élus demandaient notamment une co-présidence État-collectivités des ARS, afin « d’éviter l’installation d’un rapport de force quasi-systématique entre les collectivités territoriales et les ARS » ; elle n’est pas dans le texte. Le gouvernement prévoit seulement d’octroyer aux élus locaux deux des trois sièges de vice-président des ARS.
Déception aussi sur la place des maires dans la gouvernance des hôpitaux. Alors que les associations réclament depuis des années le retour des conseils d’administration présidés par les maires, en lieu et place des conseils de surveillance où bien des maires estiment ne pouvoir faire que de la figuration, aucune mesure de cet ordre ne figure dans le projet de loi. Les associations d’élus souhaitaient aussi, au moins, une expérimentation du transfert de la compétence sanitaire aux collectivités territoriales. Elle n’est pas envisagée non plus.
Recentralisation
Non seulement le texte « manque d’ambition » sur la décentralisation, jugent les élus, mais pire : il prévoit des recentralisations dans certains domaines, notamment celui de l’eau. En effet, le projet de loi prévoit de renforcer le rôle du préfet coordonnateur de bassin, qui se verrait systématiquement confier la présidence du conseil d’administration des agences de l’eau. Les représentants des élus voient dans les mesures prévues par le projet de loi « un risque de déstabilisation des comités de bassin ». Le gouvernement, de son côté, a argué que cette réforme permettrait aux préfets « d’avoir une vision globale de l’ensemble des investissements et des crédits disponibles ».
Au-delà des mesures jugées insuffisantes, voire « recentralisatrices », les représentants des élus ont pointé de nombreux sujets qui ne figurent tout simplement pas dans le projet de loi, bien qu’ils aient été évoqués lors de la concertation. Parmi eux : le transfert de la médecine scolaire aux départements, « le déploiement d’agences départementales de solidarité » relevant des départements, ou encore la consolidation du « couple maire-préfet ».
Les représentants des élus ont également regretté que le texte ne prévoie pas la création d’un comité État-régions et « la territorialisation des actions dans le champ des intercommunalités ».
Dans ce contexte, aucun représentant des élus n’a émis d’avis favorable sur ce projet de loi : 9 ont émis un avis défavorable et 11 se sont abstenus. Ils espèrent maintenant que l’examen du texte au Parlement permettra des « avancées », en particulier au Sénat, qui avait déjà émis des propositions allant dans le même sens en juillet dernier.
Le texte devrait être examiné par le Sénat cet été.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Projet de loi 4D : une ambition minimale en matière de décentralisation (01/03/2021)
Décentralisation : le CSFPT émet un avis défavorable sur le projet de loi « 4D » (18/03/2021)