Présidentielle: quand le corps préfectoral devient un enjeu électoral
Par Damien Gaudissart - AFP
Devoir de réserve oblige, ils ne le diront pas tout haut, surtout en période électorale. Les préfets suivent néanmoins « avec attention » la disparition progressive des grands corps (inspections générales, diplomates, préfets) initiée par Emmanuel Macron, a confié à l'AFP une source proche de la préfectorale.
Hautement symbolique, la réforme a déjà commencé à être mise en œuvre, mais sa poursuite semble conditionnée au résultat de la présidentielle.
Qualifiée comme Emmanuel Macron pour le second tour, la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen s’est engagée à rétablir le corps préfectoral, voué à l’extinction le 1er janvier 2023. « On a un quand même un corps qui a été la colonne vertébrale de l’Etat depuis maintenant plus de deux siècles. Ce serait dommage de briser cette colonne vertébrale », fait valoir un membre de son équipe de campagne.
Neuf ans
En mai 2021, Marine Le Pen avait déjà adressé un courrier aux préfets, dans lequel elle affichait sa volonté de défendre le corps préfectoral.
En face, le camp Macron vient tout récemment d’écrire un nouveau chapitre de la réforme de la haute fonction publique. Un décret publié le 6 avril au Journal officiel précise les conditions d’emploi des préfets à partir du 1er janvier 2023.
Le texte fixe notamment à neuf ans la durée maximale d’exercice continu des fonctions de préfet, « ce qui inquiète beaucoup de membres du métier », assure l’ancienne représentante de l’État Bernadette Malgorn.
Ce plafond de neuf ans d’exercice « peut être un handicap, quand on arrive à un certain niveau d’expérience », avertit cette ancienne préfète de région, aujourd’hui élue municipale à Brest. « Quand on est préfet de département, on se verrait assez logiquement devenir préfet de région, puis préfet d’une région plus importante », une progression de carrière « difficile » à imaginer dans un laps de temps de neuf ans, explique-t-elle.
L’intégration des préfets dans le nouveau corps unique des administrateurs de l’État, qui fusionne nombre de grands corps préexistants, interpelle également.
Le corps préfectoral « était un cadre dans lequel se passaient une tradition, du vécu, des approches, une expérience. C’est ce qu’on risque de perdre » avec l’« espèce de vaste chaudron » incarné par le nouveau corps unique, anticipe la source proche de la préfectorale.
« Exécutants supérieurs »
« Ce qui est paradoxal, c’est qu’on réforme le corps préfectoral alors que c’est sans doute l’un des corps qui s’est le plus réformé depuis quinze ans, (...) notamment dans la diversification de ses recrutements, dans la féminisation », relève Gildas Tanguy, maître de conférences à Sciences Po Toulouse. Les préfets « ont eu l’impression qu’on les attaquait alors qu’ils avaient fait les efforts nécessaires ces dernières années pour montrer qu’ils étaient une haute fonction publique ouverte, mobile, inventive, comme le souhaitait le président de la République », pointe encore ce spécialiste de la haute fonction publique.
Mais alors que les préfets ont été très sollicités lors du quinquennat qui s’achève, avec notamment la crise des Gilets jaunes ou la pandémie de covid-19, l’ancienne préfète Bernadette Malgorn regrette une tendance à « traiter les hauts fonctionnaires comme des exécutants supérieurs plutôt que des cadres dirigeants ».
Un inconfort qui semble être remonté jusqu’à l’Élysée, puisqu’en plus d’avoir étroitement associé les préfets à la rédaction du décret récemment publié au JO, Emmanuel Macron a promis dans une lettre aux maires de rouvrir des sous-préfectures. C’est « quelque chose d’assez extraordinaire, (...) sachant que le serpent de mer depuis le début des années 2000 » consistait à juger excessif le nombre de sous-préfectures, commente Gildas Tanguy. « C’est peut-être aussi une façon d’amadouer le corps préfectoral, un peu échaudé ».
Dans un autre décret, paru lui dimanche, Emmanuel Macron a fait mettre la dernière main à sa réforme de la haute fonction publique, en supprimant également le corps diplomatique. Les 800 hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay vont perdre leur statut spécifique pour devenir, comme les préfets désormais, « administrateurs d’État ».
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