Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 1er décembre 2020
Population

Projet de loi « séparatismes » : les élus craignent un retour du pouvoir de tutelle des préfets

Avant son examen par le Conseil d'Etat le 3 décembre et sa présentation en Conseil des ministres prévue pour le 9 décembre, l'avant-projet de loi un moment baptisé « Contre les séparatismes », devenu « Confortant les principes républicains », a été examiné par le Conseil national d'évaluation des normes (Cnen) le 22 novembre. Il n'a recueilli aucun avis favorable des représentants des élus, qui ont dénoncé une nouvelle atteinte à la libre administration des collectivités locales.

Les articles de la loi concernant directement les collectivités ont été examinés par le Cnen, à l’exception toutefois des articles 27 et 28 relatifs à la mixité sociale dans le logement qui intéressent pourtant directement le bloc local. Parmi eux, rappelons que l’article 1 du projet de loi vise à imposer le principe de laïcité dans les entreprises privées qui exercent par délégation un service public. L’article 2 - le plus vivement critiqué par les élus - propose d’instaurer un nouveau mécanisme d’intervention du préfet lorsqu’il estime qu’un service public local manque au principe de neutralité. L’article 3 vise à mieux encadrer les subventions attribuées par l’État ou les collectivités aux associations, avec l’instauration d’un « contrat d’engagement républicain »  que toute association demandant une subvention devra signer. Les articles 18 et 19 fixent les règles de la scolarisation obligatoire des enfants de 3 à 16 ans – et donc de la fin de l’instruction à domicile, sauf cas particuliers très limités. Enfin, l’article 35 prévoit une exemption du droit de préemption pour les immeubles « faisant l’objet d’une donation entre vifs »  au profit des fondations, congrégations, associations ou établissements publics du culte.

Contrôle a priori ?

Les représentants des élus au Cnen ont d’abord tenu à assurer « unanimement »  au gouvernement leur soutien dans son objectif de lutte contre les « séparatismes ». Mais tout en estimant qu’il n’est pas besoin de créer des outils spécifiques dans les collectivités territoriales – ou certaines d’entre elles – dans la mesure où « toutes les administrations publiques doivent être soumises aux mêmes obligations constitutionnelles ». Les élus présents au Cnen partagent donc les objectifs du gouvernement, mais pas les moyens qu’il a choisi d’employer. Ils ont également relevé « l’absence de mesures concrètes visant à accompagner les collectivités »  dans ce combat.
C’est l’article 2 du texte qui a le plus « contrarié »  les élus. Cet article dispose qu’en cas « d’atteinte grave au principe de neutralité d’un service public », le préfet peut demander la suspension d’un acte pris par une collectivité, suspension qui prendra effet immédiatement. La décision du préfet serait soumise au juge administratif qui aurait 30 jours pour se prononcer, faute de quoi l’acte suspendu redeviendrait exécutoire. Par ailleurs, dans certains cas d’atteinte grave à la neutralité des services publics, le préfet pourrait procéder d’office à l’exécution d’une décision et, le cas échéant, « exercer l’autorité hiérarchique sur les agents du service public ». 
Dans l’étude d’impact qui accompagne le texte, le gouvernement utilise le terme – qui ne figure pas dans le projet de loi –, de « carence républicaine »  pour justifier l’emploi de ces mesures exceptionnelles. 
Cette expression a fortement déplu aux représentants des élus, qui l’estiment « stigmatisante »  et révélatrice d’un sentiment de « défiance »  vis-à-vis d’élus qui seraient « supposés responsables de manquements dans leurs obligations républicaines ». Les élus ont rappelé que l’élément le plus « structurant »  de la décentralisation a été la suppression du pouvoir de tutelle des préfets sur les collectivités locales, c’est-à-dire du contrôle a priori de leurs actes. Le système de « déféré-suspension »  prévu à l’article 2 est bien, selon les élus, une réintroduction du contrôle a priori, puisque le préfet pourrait « suspendre une décision qui ne peut donc plus produire ses effets jusqu’à ce que le juge administratif ait statué sur la demande ». 
La mise en place d’un tel dispositif est jugée d’autant plus disproportionnée que les cas susceptibles de le déclencher sont rarissimes (une dizaine par an, de l’aveu même des services de l’État).

Interrogations

Sur les autres articles du texte, le débat a été plus apaisé. Les représentants des élus au Cnen ne sont pas contre l’idée de mieux encadrer l’attribution de subventions aux associations, mais ont demandé quels seront les moyens mis à la disposition des collectivités pour contrôler le respect du « contrat d’engagement républicain ». 
Ils ont également exprimé des « interrogations »  sur les modalités de mise en œuvre des articles 18 et 19 (scolarisation obligatoire). Ils ont notamment relevé qu’il serait compliqué pour les établissements « d’accueillir l’ensemble des enfants de trois à seize ans, au regard de l’existence d’incompatibilités d’accueil rencontrées par ces établissements, compte tenu des besoins spécifiques de certains enfants et des équipements disponibles ». Il pourrait en résulter « des dépenses supplémentaires »  pour les budgets locaux.
Sur les 16 représentants des élus au Cnen, 14 ont donné un avis défavorable au projet de loi, et deux se sont abstenus. Le texte sera présenté la semaine prochaine en Conseil des ministres, avant d’entamer son parcours parlementaire, qui pourrait, selon nos informations, débuter à la mi-janvier à l’Assemblée nationale.

Franck Lemarc

Télécharger l’avis du Cnen du 22 novembre.

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