Chambres régionales des comptes et collectivités locales : un décret qui va bien au-delà de la loi
Par Franck Lemarc
Le décret paru hier fixe les règles d’application de l’article 229 de la loi 3DS du 21 février 2022. Ou plutôt – chose assez rare – … il le modifie.
Évaluation des politiques publiques
Cet article 229 prévoit que les présidents de certaines collectivités territoriales et groupements (conseil régional, conseil départemental et métropoles) puissent saisir la Chambre régionale des comptes (CRC) pour évaluer une politique publique. Cette saisine peut se faire, dispose la loi, à l’initiative du président ou bien par délibération de l’organe délibérant. Plusieurs collectivités ou groupements peuvent également saisir la CRC de façon commune.
Cette saisine ne peut être effectuée qu’une seule fois par mandat. Elle donne lieu à un rapport de la CRC, communiqué « à l’organe exécutif de la collectivité ou du groupement de collectivités » qui l’ont saisie, dans un délai qui ne peut être supérieur à un an.
Par ailleurs, le même article de la loi permet aux mêmes élus de saisir la CRC « pour avis sur les conséquences de tout projet d'investissement exceptionnel dont la maîtrise d'ouvrage est directement assurée par la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale ».
Auto-saisine
Voilà pour la loi. Il y a donc quelque raison d’être surpris par le décret paru hier, censé fixer les règles d’application de cet article 229 de la loi 3DS.
Ce décret pose bien, en effet, les règles de la saisine par les présidents de région, de département ou de métropole. Mais ses auteurs ne s’en tiennent pas là, puisqu’ils ajoutent que « la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l'évaluation d'une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion » . Cette auto-saisine de la CRC n’est à aucun moment évoquée dans la loi 3DS, alors que le décret, est-il écrit clairement dans la notice, est bien un texte d’application de l’article 229 de la loi !
Rien d’étonnant donc à ce que les représentants des élus au Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), par deux fois, aient unanimement émis un avis défavorable à ce texte, « surpris » de voir réapparaître au détour d’un décret ce qui semble s’apparenter à un contrôle a priori – alors que ces contrôles a priori ont, en théorie, disparu depuis les lois de décentralisation.
Les représentants des élus au Cnen ont rappelé qu’ils sont tout à fait favorables à l’évaluation des politiques publiques lorsque celle-ci se fait à la demande des intéressés, mais qu’une évaluation effectuée par la CRC, de son propre chef, risque « de ne pas tenir suffisamment compte (…) des contraintes et du contexte dans lequel sont mises en œuvre les politiques publiques ».
Étonnants arguments
Devant le Cnen, le ministère de l’Intérieur a répondu que cette faculté d’autosaisine était « déjà prévue dans le Code des juridictions financières », à l’article L211-15.
Étonnant argument, là encore. L’article L211-15 du CJF ne parle aucunement d’auto-saisine : il se contente de disposer que « la chambre régionale des comptes contribue, dans son ressort, à l'évaluation des politiques publiques » . Les élus du Cnen avaient donc des raisons d’estimer, en séance, que le ministère faisait là « une interprétation exagérément extensive » de cet article de portée très générale, ce qui est une litote.
L’avis défavorable des membres élus du Cnen n’a pas empêché le gouvernement de publier ce décret, qui donne donc aux Chambres régionales des comptes une faculté… que ne prévoit nullement la loi.
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