« Inquiets et en colère », les élus de banlieues critiquent les « atermoiements » du gouvernement
Par Emmanuelle Stroesser
Des élus de l’association Ville et Banlieue le confiaient, hier matin, au démarrage de leurs deux journées de réunion à Lyon, « il va falloir qu’on arrête d’être polis ! » . Car ils sont « inquiets et en colère » . Ils l’expriment, noir sur blanc, en tête de leur « appel de Lyon », lancé hier midi, trois mois après la vague historique d'émeutes qui a frappé le pays.
Les maires n’en « peuvent plus des atermoiements et des reports » du Comité interministériel des villes (CIV), qui doit permettre d'apporter des solutions aux problèmes récurrents des quartiers prioritaires et qui a été reporté à plusieurs reprises. Ils ont « besoin de décisions » , des décisions « à la hauteur des lourdes difficultés des habitants de nos quartiers ». Reprenant un leimotiv de l’association, les élus réaffirment une conviction : « Nos quartiers ne sont pas un problème, ils sont la solution ».
Un appel au président de la République
Cet appel s’adresse au président de la République, plusieurs fois cités dans le texte. Il est accusé d’avoir « manqué un énième rendez-vous avec les villes et quartiers populaires » . Les maires attendent de lui qu’il prenne « conscience de l’urgence de la situation ».
Dans l’ombre, l’ancien ministre de la politique de la ville et maire de Valenciennes Jean-Louis Borloo soutient et encourage cette « juste révolte » de ses anciens collègues. Il dénonce ces « petits hommes gris » qui à Bercy, dans les cabinets ministériels et administrations, n’essayent même pas de s’intéresser aux banlieues. Quitte à en saper les bases par des décisions déconnectées de la réalité, critiquent en substance les élus. Et Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes (78) de témoigner à son tour : « Hier, ceux de l’ANRU m’ont donné des leçons [en disant] : "Vous ne construisez pas assez vite !" Ca m’a donné des boutons ! ».
Devant ou hors micros, les maires de villes en quartier prioritaire rivalisent aussi de bons mots. Restant « polis » face à la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, qui représentait le gouvernement pendant une petite heure, sa collègue en charge du secrétariat d’État chargé de la Citoyenneté et de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, étant retenue à Marseille. « Mieux valait qu’elle ne soit pas là », indique un élu.
De toute façon, les maires ont choisi de s’adresser au président de la République. Et c’est à lui qu’ils comptent remettre leur appel en « mains propres », dès la semaine prochaine. À l’occasion d’une rencontre sur l’insertion par le sport organisée à l’Élysée lundi 23 octobre.
Ensuite, ils appelleront les Conseils municipaux à reprendre ce voeu, « ce qui permettra aussi d’avoir un débat dans nos territoires » et de « créer un rapport de force », explique le président de l’association et maire d’Allonnes, Gilles Leproust.
Prochaine date : le CIV du 27 octobre
Une nouvelle date vient d’être fixée pour le comité interministériel des villes, attendue depuis des mois pour donner les lignes directrices des prochains contrats de ville (à signer début 2024). Le comité aura lieu le vendredi 27 octobre. « En pleine vacances scolaires », regrette une élue. « Tant que le CIV ne se tient pas, nous ne rédigeons pas les contrats de ville, voilà pourquoi ce retard est grave », dénonce le vice-président de la Métropole de Lyon, Renaud Payre.
Pour l’universitaire Thibault Tellier, les reports successifs de ces réunions sont le symptôme d’une politique de la ville qui s’est « laissée enfermer dans des dispositifs » , jusqu’à en « perdre le sens » . Ce qui se traduit aussi par la désaffection de la discipline par les étudiants. La dévitalisation de l’Observation national de la politique de la ville, qui ne produit plus rien depuis le Covid, en est une autre illustration, fustige le sociologue Renaud Epstein.
Mais les élus ne sont pas exempts de reproches. À son tour, le sociologue ne prend pas de gants pour critiquer les pratiques de certains élus, notamment sur la participation des habitants. Sa collègue Marion Carrel, de l’université de Lille, enfonce le clou : « Quand on est dans une société où il n’y a pas d’espace public, on est dans une société qui bascule dans le silence et la violence, on est tous responsables de bailloner les paroles contestataires liées aux discriminations ». Certains concèdent qu’il y a là sans doute « des débats à reprendre » par exemple sur la mixité sociale.
« On est désespéré sur le plan national mais plein d’espoirs sur le plan local » . La formule de Catherine Arenou résume l’ambiance de cette journée où les élus ont cherché à refaire le monde de la politique de la ville… Avec une « trouille », que certains mettent plus en avant, à l’instar du maire de Damien Allouche, maire d’Épinay-sous-Sénart et Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, redoutant le retour de bâton démocratique. « Si le CIV n’est pas à la hauteur de nos attentes, la colère de l’appel de Lyon s’entendra, se verra et se sentira », prévient Damien Allouche, expliquant faire là « un avertissement » plutôt qu’un ultimatum.
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