Un rapport du Cese pointe les limites de la tarification progressive de l'eau
Par Franck Lemarc
C’est le Plan eau présenté par le gouvernement en mars dernier (lire Maire info du 31 mars) qui a prévu la saisine du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur la mise en place de la tarification progressive de l’eau. Huit mois plus tard, le Cese a rendu son rapport, intitulé Eau potable : des enjeux qui dépassent la tarification progressive. Tout est dans le titre : pour les rapporteurs, la tarification progressive ne saurait être la solution miracle, et bien d’autres pistes doivent être explorées.
Cadre législatif
Rappelons le principe : pour inciter les consommateurs à ne pas gaspiller l’eau, il est envisagé depuis plus d’une dizaine d’années de mettre en place une tarification progressive, avec une sorte de bonus-malus. Le système se veut doublement vertueux : il instaurerait un tarif social, pouvant aller jusqu’à la gratuité pour les besoins élémentaires ; mais serait également écologiquement responsable, avec à l’inverse une surfacturation du prix du mètre cube au-delà d’un seuil de consommation.
La tarification progressive de l’eau a été introduite dans le droit français par la Lema (loi sur l’eau et les milieux aquatiques) de 2006. Puis la loi dite Brottes (loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes) a prévu une expérimentation de ce dispositif, expérimentation qui a été conduite par une cinquantaine de collectivités. Enfin, la loi Engagement et proximité de 2019 a généralisé le dispositif à toutes les autorités organisatrices du service de l’eau, au volontariat.
Les rapporteurs expliquent qu’il est difficile de savoir très précisément combien de services ont choisi cette possibilité – ils seraient autour d’un millier. Les données disponibles montrent qu’il y a presque « autant de modèles de tarification progressive que de collectivités ». Le nombre de tranches varient, certaines collectivités ont choisi d’instaurer un tarif social pour les plus modestes (premiers mètres cubes gratuits), d’autres non. La présence généralisée de compteurs individuels est un facteur déterminant. Les rapporteurs notent que le système a d’autant mieux fonctionné que les collectivités ont organisé des « mesures d’accompagnement (communication sur le dispositif, actions associatives pour aider les syndics à développer les économies d’eau, distribution de petits équipements hydro-économes) ».
Mais surtout, ils ont constaté que les collectivités engagées sont nombreuses à estimer que le système fonctionne, avec un réduction de la facture d’eau pour une partie des usagers et une diminution de la consommation globale.
Freins
Ce qui pose la question de savoir pourquoi le système ne se généralise pas. Pour les rapporteurs, plusieurs freins existent, notamment une insuffisante connaissance des profils des usagers par les collectivités, ou encore le caractère trop complexe de la prise en compte des profils particuliers – familles nombreuses par exemple. La connaissance fine du profil des consommateurs se heurte à la question de l’accès aux données et du RGPD : une collectivité qui voudrait avoir accès aux données de la Caf, par exemple, ne le peut pas en l’état actuel de la réglementation (un décret sur ce sujet est en attente depuis dix ans).
Autre écueil : la présence ou non d’un compteur individuel (moins de la moitié des logements en sont équipés à l’échelle nationale). De plus, il n’existe pas aujourd’hui de système type « Linky », qui permettrait aux consommateurs de suivre leur consommation en temps réel ou de procéder à la télérelève.
Autant de difficultés qui empêchent de nombreuses collectivités de se lancer, voire, pour d’autres, les ont poussées à abandonner la tarification progressive (comme Bordeaux métropole, en 2003). Et qui conduisent les rapporteurs à estimer que « les conditions d’une généralisation de la tarification progressive (…) ne sont pas réunies ». Elle n’est d’ailleurs pas forcément souhaitable, selon le Cese, parce qu’elle pourrait constituer une remise en cause de la libre administration des collectivités locales, et peut même s’avérer contre-productive dans le cas des ménages ne disposant pas d’un compteur individuel.
Préconisations
Le Cese fait un certain nombre de recommandations, d’abord pour permettre un développement futur de la tarification progressive, au premier rang desquelles un développement massif des compteurs individuels, ou encore une consolidation réelle du système d’information Sispea, afin de « mieux connaître la consommation des abonnés ». Il propose également la création d’un « simulateur de tarification de l’eau » qui serait mis à disposition des collectivités, afin de permettre à celles-ci d’évaluer l’impact des différents systèmes.
Au-delà de la tarification progressive, le Cese préconise, à l’échelle nationale, d’anticiper une hausse des tarifs de l’eau qu’il juge « inéluctable », dans la mesure où la diminution de la consommation va amener une baisse des recettes de la redevance, ce qui obligera mécaniquement les services à augmenter les prix pour trouver l’équilibre.
Le Cese recommande également de promouvoir – comme le permet la loi – la tarification saisonnière « dans l’ensemble des communes où l’équilibre entre la ressource et la consommation d’eau est menacé de façon saisonnière » (communes soumises à de fortes sécheresses ou communes touristiques). Enfin, les rapporteurs mettent en avant « l’accompagnent social des usagers fragiles », avec la mise en place d’aides directes des collectivités pour le paiement des factures d’eau – ce qui a l’avantage, par rapport à la tarification progressive, de ne pas pénaliser les familles nombreuses. Cette préconisation pourrait servir de conclusion au rapport : « Du fait de l’incertitude sur l’efficacité sociale de la tarification progressive et des conditions difficiles à mettre en place pour la mettre en œuvre de façon généralisée, le Cese estime préférable de dissocier la dimension tarifaire de la question sociale, et recommande de préférence la mise en œuvre d’un accompagnement social, quel que soit le modèle de tarification. » Sans toutefois s’attarder sur le coût d’une telle mesure pour les collectivités, ce qui n’est pourtant pas une question sans importance.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2