Plan eau : les mesures qui concernent les collectivités
Par Franck Lemarc
De bonnes nouvelles, et un certain nombre d’interrogations. C’est ce que les élus retiendront de l’annonce du Plan Eau, d’abord par Emmanuel Macron, hier, dans les Hautes-Alpes, puis par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, ce matin. Un dossier de presse a également été diffusé par le ministère, listant les 53 mesures du plan.
Fin du plafond pour les Agences de l’eau
L’intervention du chef de l’État a été axée presque uniquement sur la gestion quantitative de l’eau, avec la mise en avant de la « sobriété », de la lutte contre les fuites et de la réutilisation des eaux usées traitées (Reut). Mais le plan en lui-même, dévoilé plus tard dans la journée, ne laisse pas de côté la gestion qualitative de l’eau, puisqu’un chapitre est consacré à « la préservation de la qualité de l’eau » et « la restauration d’écosystèmes sains et fonctionnels ».
Première remarque : le gouvernement semble décidé à mettre des moyens supplémentaires relativement importants dans la gestion de l’eau. Il est indiqué, d’une part, que « les moyens des Agences de l’eau seront réhaussés de 475 millions d’euros par an » pour mener à bien ce plan, et que « le plafond de dépenses » de celles-ci sera « supprimé ».
Ces annonces appellent plusieurs questions. Rappelons que depuis plusieurs années, le gouvernement a mis en place un système très vivement critiqué par les associations d’élus et les acteurs de l’eau, à savoir un prélèvement sur les recettes des Agences de l’eau : en résumé, tout ce que les Agences de l’eau perçoivent comme recettes au-delà d’une certaine somme (2,105 milliards d’euros en 2019 par exemple) est prélevé et reversé au budget de l’État. Il s’agit donc, pour être précis, d’un plafonnement des recettes et non des dépenses. Quand le gouvernement parle dans son dossier de presse de « supprimer le plafond de dépenses » des Agences de l’eau, on peut supposer qu’il s’agit de la suppression de ce système. Christophe Béchu l’a d’ailleurs confirmé ce matin, en conférence de presse, parlant à ce sujet de « petite révolution ». Cette mesure satisfait une demande constante de l’AMF depuis des années.
Deuxième question : que veut dire le gouvernement lorsqu’il évoque « le réhaussement des moyens des Agences de l’eau » de 475 millions d’euros ? Il faut rappeler que le budget des Agences de l’eau n’est pas abondé par l’État, mais par les consommateurs, puisque celles-ci sont financées par la redevance. D’où viendront ces 475 millions ? D’une nouvelle taxe, d’une nouvelle redevance ? Des deux ? La question reste posée aujourd’hui, le ministre n’y ayant pas répondu ce matin.
Enfin, troisième question : il est assez difficile, dans le document fourni par le ministère, de chiffrer précisément le budget qui sera alloué aux collectivités pour les aider à financer les mesures du Plan Eau, faute d’une synthèse claire. Le document est parsemé de chiffres – 30 millions d’euros ici, 10 millions là –, et on ignore si la somme des 475 millions (mesure 38) pour les Agences de l’eau est la synthèse de toutes ces aides, ou si elle vient en plus. De même, il apparaît que certaines mesures seront financées dans le cadre du Fonds vert, ce qui veut dire qu’elles ne se traduiront pas par des financements supplémentaires de la part de l’État. Là aussi, des détails et un chiffrage clair seront bienvenus.
Quatre axes
Le Plan du gouvernement s’organise en quatre axes : sobriété, disponibilité de la ressource, qualité de l’eau, moyens.
En matière de sobriété, l’objectif gouvernemental est de réduire de 10 % les prélèvements d’ici 2030. Les derniers chiffres du ministère indiquant que 32,8 milliards de mètres cubes sont prélevés chaque année, il s’agirait donc de diminuer ce chiffre d’un peu moins de 3,3 milliards de mètres cubes. Pour mémoire, la moitié des prélèvements sont réalisés pour le refroidissement des centrales nucléaires, et seulement 16 % pour la production d’eau potable.
Un « plan de sobriété », à l’image de ce qui a été fait en fin d’automne pour l’électricité, va être mis en place pour l’eau dans « toutes les filières ». De façon plus contraignante, des objectifs chiffrés de réduction des prélèvements vont être intégrés dans les Sage (schémas d’aménagement et de gestion de l’eau) et les PTGE (projets de territoire pour la gestion de l’eau).
Pour améliorer la « disponibilité de la ressource », le gouvernement entend accélérer la lutte contre les fuites, en mettant particulièrement l’accent, d’une part, sur « les 170 collectivités point noir » où le taux de fuite est supérieur à 50 % et, d’autre part, sur les quelque 2 000 communes qui ont connu des « tensions » sur l’approvisionnement en eau potable l’été dernier. Le gouvernement annonce que « 180 millions d’euros » d’aides des Agences de l’eau seront dédiés à ce chantier. Avec, a indiqué ce matin Christophe Béchu, « une surreprésentation des communes isolées » dans ces financements.
Il faudra également porter une attention particulière à ce que signifie la phrase : « Les aides des Agences de l’eau aux collectivités seront conditionnées à des objectifs de performance de gestion de leur patrimoine ». Plus généralement, certains aspects de ce plan laissent craindre une certaine forme de « reprise en main » des Agences de l’eau par l’État, point sur lequel les associations d’élus seront certainement très attentives.
Réutilisation
Le gouvernement entend « massifier » la réutilisation de l’eau, en particulier les eaux de pluie et les eaux grises (rejetées par les lavabos, éviers, douches, appareils électroménagers, etc.). « 1 000 projets de réutilisation » devront être entrepris d’ici 2027. Point important : le gouvernement promet « la levée des freins réglementaires », mais en évoquant que « l’industrie agro-alimentaire, d’autres secteurs industriels et certains usages domestiques ». Il n’évoque pas les collectivités territoriales, alors que certaines communes sont en attente d’autorisations de l’Anses pour mettre en œuvre la réutilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage des espaces verts.
Le préfet sera désormais le « guichet unique » pour tous les projets de Reut. Par ailleurs, un appel à manifestation d’intérêt spécifique sera lancé « à destination des collectivités littorales pour étudier la faisabilité des projets de Reut ».
Gestion qualitative
La prévention des pollutions, contrairement à ce qu’ont cru certaines associations environnementales à l’issue du discours du chef de l’État, n’est pas complètement absente du plan, même si ce chapitre contient peu de mesures nouvelles. Première mesure : « Tous les captages seront dotés d’un Plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux ». Les projets agricoles « agro-écologiques » et « bio » seront favorisés. Une « aide à l’acquisition foncière par les collectivités », autour des aires de captage, sera mise en œuvre, « à hauteur de 20 millions d’euros par an ».
Enfin, les Agences de l’eau consacreront « 50 millions d’euros supplémentaires » à la mise aux normes des stations d’épuration « prioritaires ». Et 100 millions permettront de « financer les projets de renaturation et de désimperméabilisation des collectivités », dans le cadre, cette fois, du Fonds vert.
Notons que le jour même où ce plan était présenté, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, demandait, devant le congrès de la FNSEA, le réexamen par l'Anses d’un pesticide interdit depuis peu et à fort impact sur la qualité des nappes phréatiques. Un message quelque peu contradictoire...
On remarquera aussi que la question des compétences eau et assainissement, et de leur transfert obligatoire aux intercommunalités, n'est à aucun moment évoquée dans ce plan, malgré l'opposition de très nombreuses communes à ce transfert obligatoire. Si le chef de l'Etat a suscité nombre d'interrogations en déclarant hier que « le problème, ce sont les communes isolées », cette question n'est nullement abordée dans le plan.
Il reste enfin à savoir quand et comment ces mesures seront mises en œuvre. Christophe Béchu a annoncé ce matin que « les trois quarts des dispositions relèvent du règlement », ce qui signifie qu’elles peuvent être mises en œuvre par décret ou arrêté, sans passer par la case Parlement. Les questions financières « devront passer en loi de finances », a poursuivi l’ancien maire d’Angers. Restera la question de la tarification progressive de l’eau (lire article ci-dessous) qui, elle, fera éventuellement l’objet d’une future loi.
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