Maire-info
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Édition du jeudi 6 février 2025
Petite enfance

Micro-crèches : le gouvernement répond à la campagne des gestionnaires privés

Plusieurs parlementaires ont interrogé le gouvernement sur le projet de décret relatif aux micro-crèches, se faisant le relais d'informations parfois erronées diffusées par les gestionnaires privés. La réalité semble bien plus nuancée. Décryptage.

Par Franck Lemarc

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Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, les questions se suivent et se ressemblent. Mardi 4 février, Assemblée nationale : « Le projet de décret [sur les micro-crèches] aura un impact désastreux. (Il) menace directement l’avenir de la petite enfance, 15 000 professionnels risquent d’être licenciés » , lance le député RN Émeric Salmon à la ministre Catherine Vautrin. Mercredi 5 février, Sénat : « Lundi dernier, les micro-crèches étaient en grève. (Le projet de décret) risque de mettre en péril ces structures, (leur) avenir est menacé. Les inquiétudes des familles, des élus et des professionnels sont vives, clarifiez la situation ! » , exige la sénatrice indépendante Marie-Claude Lermytte. On peut aussi citer plusieurs questions écrites adressées tout récemment au gouvernement, comme celle de la députée Anne Le Hénanff (Horizons, Morbihan), disant redouter « la suppression directe de 40 % des emplois dans les micro-crèches »  ; ou celle d’Hervé Saulignac (PS, Ardèche), faisant part d’une « très grande inquiétude sur les conséquences que l’application de ces mesures pourraient engendrer ». 

On le voit, de la gauche à l’extrême droite, députés et sénateurs ont manifestement été sensibles au lobbying actif mené par les gestionnaires de crèches privées contre ce projet de décret. Mais la situation est-elle réellement aussi alarmante ?

Micro-crèches : de quoi parle-t-on ?

Pour mémoire, les micro-crèches existent depuis 2007. Elles peuvent accueillir au maximum 12 places. Elles peuvent être financées ou par la Paje (prestation d’accueil du jeune enfant) ou par la PSU (prestation sociale unique). Ces deux dispositifs de la Caf, rappelons-le, ne fonctionnent pas de la même façon : la PSU est versée directement aux gestionnaires de la micro-crèche, en complément de la participation des familles, tandis que la Paje est versée aux familles, pour rembourser une partie des dépenses de crèche.

Près de 90 % des micro-crèches fonctionnent avec la Paje, et 92 % de celles-ci appartiennent au secteur privé. On dénombre plus de 6 000 micro-crèches Paje dans le pays. 

Ce que prévoit le projet de décret

Le projet de décret dont il est question ici – actuellement en cours d’examen au Conseil d’État – prévoit d’aligner, à terme, les normes d’encadrement des micro-crèches sur celles des petites crèches classiques. Pour doper le développement des micro-crèches, un certain nombre de dérogations ont en effet été mises en place, mais plusieurs rapports parlementaires ou d’inspections générales ont conclu, ces dernières années, que ces dérogations avaient conduit à une dégradation de la qualité d’accueil – on se rappelle de l’épisode particulièrement tragique de la mort d’une petite fille de 11 mois à Lyon, en 2022, après qu’une professionnelle l’eut forcée à ingérer de la soude caustique. 

Le projet de décret instaurerait notamment l’obligation d’employer au moins un titulaire d’un diplôme d’État éducateur de jeunes enfants ou auxiliaire de puériculture. Par ailleurs, le texte prévoit que seul un professionnel diplômé d’État puisse prendre en charge seul trois enfants à la fois (en particulier lors des ouvertures et fermetures de l’établissement), alors qu’aujourd’hui une telle prise en charge est possible pour un titulaire de CAP petite enfance. Enfin, le décret va interdire qu’un directeur exerce sa fonction sur plus de deux établissements. 

« Il n’est pas question de licencier qui que ce soit » 

Il n’en fallait pas plus pour provoquer une vive réaction des gestionnaires de micro-crèches privées, qui ont entamé une intense campagne contre ce texte, à coups de pétition, de courriers adressés aux parents pour les avertir du « danger » , voire leur demander d’écrire à leur maire pour protester, et d’articles de presse reprenant l’argument des « 10 000 licenciements »  que provoquerait l’application de ce décret. Point culminant de cette campagne : la journée « micro-crèches mortes »  du lundi 3 février, qui n’en déplaise à la sénatrice Marie-Claude Lermytte, n’était en rien « une grève ». Comme le signale avec bon sens le SNPPE (Syndicat national des professionnels de la petite enfance), « cette opération n’étant pas initiée par les salariés mais par les syndicats patronaux, ce n’est pas une grève »  – le syndicat rappelant au passage que dans ces conditions, « les salariés ne peuvent pas être privés de leur rémunération ». 

En répondant au député Salmon, la ministre Catherine Vautrin a été claire : « Je pèse mes mots : il n’est pas question de faire le moindre chantage ni de licencier qui que ce soit. »  La ministre a réexpliqué que le gouvernement, par ce décret, ne faisait que suivre les préconisations de plusieurs inspections générales. « Quel que soit le mode de garde, ce qui importe c’est la qualité offerte aux enfants » , a-t-elle également expliqué au Sénat, et il n’y a rien d’absurde à souhaiter que la qualité d’accueil soit la même dans toutes les crèches et sur tout le territoire. 

Dans un courrier adressé au président de l’AMF David Lisnard, le 24 janvier, Catherine Vautrin évoque « des courriers adressés aux maires, (…) issus d’une démarche des fédérations de crèches privées » . Souhaitant que « les maires disposent d’une vision claire de ce que prévoient ces projets et de ce qu’ils ne prévoient pas » , la ministre reprend les mêmes arguments que ceux qu’elle a développés devant le Parlement : « Les enfants qui sont accueillis dans les micro-crèches et dans les petites crèches classiques sont les mêmes : il n'y a aucune raison acceptable que les conditions prévues pour l'encadrement ne soient pas similaires. » 

La ministre a plusieurs fois eu l’occasion de rejeter l’argument des « 10 000 licenciements » : « Des mesures dérogatoires sont prévues pour les personnels déjà en poste, et les nouvelles normes ne s'appliqueront aux recrutements qu'à partir du 1er septembre 2026, afin de laisser le temps nécessaire pour s'organiser et pour préserver les structures existantes » , rappelle-t-elle dans son courrier à l’AMF. « Le décret prévoit une obligation de formation pour les nouveaux recrutements à partir du 1er septembre 2026 », a-t-elle complété devant les sénateurs.

Les syndicats de la petite enfance dénoncent une campagne « alarmiste » 

Du côté de certains syndicats, comme le SNPPE ou la Fneje (Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants), on s’agace de la campagne menée par les gestionnaires privés. Pour le SNPPE, « les fédérations de gestionnaires privés ne défendent pas l’intérêt général mais un modèle économique basé sur la rentabilité, souvent au détriment des enfants, des familles et des professionnelles ». La Fneje, de son côté, estime que ce projet de décret « est un signal fort pour la qualité de l’accueil et une avancée majeure pour ce secteur ». Elle dénonce les gestionnaires privés qui « crient au loup à grands coups de message alarmistes sur les réseaux sociaux (…) avec du chantage à l’emploi, (…) et créent de la division entre les professionnels, les plus diplômés versus les moins qualifiés » . La Fneje invite les entreprises de crèches « à s’atteler dès à présent à ce chantier et à se réjouir d’une telle réforme plutôt que d’organiser une campagne délétère pour le secteur ». 

Vers une réforme du financement

Il reste que tout n’est pas réglé. L’AMF, dont les représentants ont émis un avis favorable à ce projet de décret lors de son examen en Conseil national d’évaluation des normes, ne manque pas par ailleurs de rappeler que la question essentielle reste la pénurie de professionnels, « qui entraîne le gel de berceaux existants et ralentit la création de nouvelles places ». 

À cela, la ministre Catherine Vautrin répond que les nouvelles exigences en matière de formation, dans les micro-crèches, constituent aussi un enjeu d’attractivité : « La pénurie ne pourra pas se résoudre en dégradant les conditions d'accueil et les conditions de travail pour être en mesure de recruter et de maintenir l'offre : cette dynamique suivie au cours des quinze dernières années a montré toutes ses limites et a conduit à la crise que nous connaissons aujourd'hui ». 

La ministre rappelle enfin qu’elle souhaite engager « une réforme du financement de l’accueil du jeune enfant » , estimant notamment que « le modèle économique global »  des micro-crèches « pourrait atteindre ses limites ». Cette réforme, que l’AMF appelle également de ses vœux, va être lancée « dès à présent » , et les élus, indique la ministre, « y seront associés le moment venu ». 

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