Inquiétudes des professionnels et de l'AMF autour de la réforme de l'accueil du jeune enfant
Si l’on en croit le gouvernement, il s’agit d’une « avancée majeure », faite de « clarifications et de simplifications » et qui va « changer la vie des enfants et des parents ». La réforme devrait notamment permettre, explique un communiqué du secrétariat d’État chargé de l’Enfance et des Familles publié le 26 novembre dernier, de « créer, sans délai, des places de crèches supplémentaires », de « lever les freins à l’accueil en horaires atypiques ». Les trois projets de décret, qui passeront devant le Conseil national d’évaluation des normes mi-janvier, devraient entrer en vigueur « au premier semestre 2021 », précise le ministère.
Colère des professionnels
« Changer la vie des enfants ? Oui, effectivement… en pire ! ». C’est la réaction, recueillie par Maire info ce matin, de Julie Marty Pichon, présidente de la Fneje (Fédération nationale des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants), qui a reçu il y a dix jours les projets de décrets, et publié dans la foulée un communiqué évoquant « une réforme catastrophique, bien pire que ce que nous avions pu imaginer ». Amère et en colère, Julie Marty Pichon relève d’abord que les deux ans de concertation n’ont, du point de vue des professionnels, pas servi à grand-chose : « Tout ce que nous avions demandé a été rejeté, ou bien n’a été pris en compte que de façon expérimentale ou sporadique ».
Le premier point de désaccord de la Fneje concerne les taux d’encadrement. La réforme permettrait en effet de descendre à un taux d’un adulte pour 6 bébés, au lieu de 5, mesure jugée par la Fneje aussi « dramatique » pour les bébés que pour les professionnels, « déjà épuisés ». Pire encore : un point de la réforme pourrait permettre, dans toutes les structures, de prévoir (pour les plus de deux ans) « un seul adulte pour 12 enfants », s’indigne Julie Marty Pichon. La réforme laisserait en effet aux gestionnaires, dans le cas de plusieurs structures « accolées », la possibilité d’appliquer à toutes les structures la réglementation spécifique d’une d’entre elles. La réglementation applicable aux jardins d’éveil (un adulte pour 12 enfants) pourrait ainsi s’appliquer aux crèches, par exemple.
Autre point de profond désaccord : dans les zones très denses (plus de 10 000 habitants au km²), la réforme envisagée permettrait de passer de 7 m² par enfants à 5,5 m². C’est ainsi que le gouvernement souhaite créer des places « sans délai ». Selon les calculs de la Fneje, la mesure concernerait 39 communes et 4,6 millions d’habitants. « Dans ces zones, comme par exemple en région parisienne ou autour de Lyon, ce serait donc la double peine, commente Julie Marty Pichon. Non seulement les familles vivent souvent dans des logements trop exigus, mais en plus, à la crèche, les bébés seraient serrés comme des sardines ! ».
Parmi les très nombreux points relevés par les professionnels, il faut également mentionner les mesures relatives à l’encadrement. Les qualifications exigées seraient désormais calculées « selon l’effectif annuel moyen », les postes de direction des multi-accueils seraient ouverts « sans expérience professionnelle demandée », tout comme les postes de directeurs adjoints. Et surtout, la réforme prévoit de diminuer le nombre de postes d’éducateurs de jeunes enfants (EJE). « Nous avions bon espoir de voir les choses avancer sur ce point, déplore la présidente de la Fneje, le gouvernement semblait à l’écoute. Et en recevant le texte, nous découvrons que c’est tout le contraire et qu’il y aura demain moins de postes dans les structures. Quel mépris, quel manque de considération ! ».
« Pas de rétroactivité ! »
Du côté de l’AMF, on explique ce matin « comprendre l’inquiétude des professionnels ». Certes, Élisabeth Laithier, ancienne adjointe au maire de Nancy et spécialiste des questions de petite enfance, salue « l’énorme travail qui a été fait pour aboutir à ces textes » et se réjouit que ce travail « aboutisse enfin ». Mais elle s’inquiète, elle aussi, de voir certains traits de la réforme aboutir « à une dégradation de la qualité » des accueils. L’AMF se dit « favorable au maintien des exigences de qualification des professionnels de la petite enfance ». Si Élisabeth Laithier se dit bien obligée de tenir compte du « principe de réalité », elle estime néanmoins qu’il est essentiel d’assurer une « quotité suffisante » de présence de personnels qualifiés dans les accueils.
Autre inquiétude de l’AMF : les mesures proposées pourraient-elles être rétroactives ? « C’est un sujet crucial, juge l’ancienne élue de Nancy, car si nous n’y prenons pas garde, cela pourrait conduire à la destruction de places ». Explications : la réforme prévoit – toujours à des fins de « simplification » – d’unifier les possibilités d’accueil en surnombre à 115 % pour tous les accueils, alors qu’elle était jusqu’à présent de 120 % pour les grandes structures et 110 % pour les petites. « Si cette mesure était rétroactive, cela signifierait que des structures qui ont une capacité de 120 % devraient passer à 115 %, c’est-à-dire supprimer 5 % de places. Ce serait inadmissible pour l’AMF : cette nouvelle norme ne doit concerner que les établissements nouveaux. »
Élisabeth Laithier espère avoir rapidement des éclaircissements sur ce point, et ne cache pas son « espoir » de voir les textes évoluer encore « pour parvenir à une forme de consensus ». « Nous avons fait remonter, comme d’autres, nos remarques, certaines sont assez vives. J’ai l’espoir que certaines seront entendues. »
Premières réponses demain, avec la présentation de ces textes devant le groupe de travail Petite enfance de l’AMF, par les représentants du ministère. Dossier à suivre.
Franck Lemarc
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