Édition du mercredi 9 février 2005
Une étude de la Drees (ministères de la Santé et de la Cohésion sociale) souligne la détresse des personnes âgées maltraitées en institutions
Les personnes âgées victimes de maltraitance ont beaucoup de mal à être reconnues comme telles si leur plainte n'est pas défendue par un tiers extérieur, selon une enquête révélant la grande misère morale de certaines dentre elles.
"Tout se passe comme si, pour les maltraitances vécues par des personnes vulnérables (personnes âgées, plus ou moins dépendantes), il fallait le plus souvent un garant extérieur pour rendre la plainte crédible, audible", souligne une étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques - ministères de la Santé et de la Cohésion sociale, janvier 2005).
En l'absence de ce "garant", qui peut être un parent, un ami ou un membre du personnel choqué par l'attitude de ses collègues, les voix des victimes se perdent souvent dans le désert...
Pourtant, quand on prend la peine de les écouter, les personnes âgées maltraitées peuvent témoigner elles-mêmes de leurs souffrances, révèle l'enquête "qualitative", basée notamment sur une quarantaine d'entretiens auprès de personnes en maison de retraite ou aidées à domicile et n'ayant jamais osé porter plainte.
Lors de ces entretiens, souvent, la personne interrogée se met à pleurer, même quand, en pleine dénégation, elle assure n'avoir jamais été maltraitée. "Je me déplais bien ici", répond ainsi, en plein lapsus, une femme de 82 ans, placée contre son gré en maison de retraite.
"Dans tous les cas, il reste plus facile pour les plaignants de se faire entendre lorsqu'il s'agit d'un acte reconnu comme délictuel (vols, coups...)", explique l'étude.
Mais la notion de maltraitance ne se résume pas à cela. Elle désigne aussi des actes qui causent "désagrément, douleur, chagrin, humiliation, honte, indignation ou colère".
"Sur ma table, j'avais renversé. En voulant ramasser ma fourchette, je me suis appuyé sur la table et j'ai fait tout tomber de la table (pleurs)... Elle m'a dit : «Ce soir je vous ressers ce qui est tombé», raconte un hémiplégique de 68 ans, en institution depuis 25 ans.
Un autre, âgé de 87 ans, amputé d'une jambe et "gêné" d'être lavé par une jeune femme, se voit répondre par cette dernière : «Te fais pas de bile ni d'illusions, tu ferais fuir les femmes». «Souvent, il y a le pistolet (pour uriner) sur la table à côté de mon déjeuner. Et ça, j'aime pas», raconte le même vieillard.
«Un matin je me suis levée tard. Je fais de la sinusite. J'avais mal à la tête, ici, ici et là. Je me suis fait engueuler parce que je suis arrivée en retard pour mon petit déjeuner», témoigne une autre pensionnaire âgée de 77 ans.
Quand s'additionnent des atteintes à l'intégrité physique (défaut d'hygiène), à la dignité, à l'autonomie (vêtements imposés, sorties interdites, etc), il y a souvent chez les victimes «un sentiment que le statut d'adulte responsable leur est refusé, de ne plus être sujet de droit et de libertés, mais objet passif de soins. Elles se sentent alors dépossédées de leur qualité de personne humaine ou de citoyen».
D'où ce sentiment que la plainte a peu de chance d'être entendue, ou même qu'elle risque de leur valoir "des représailles"... Alors beaucoup préfèrent se taire, "enfermées dans une attitude fataliste".
Chez d'autres, c'est la dépression. «Y'a beaucoup de monde ici, on ne peut pas s'occuper que de moi. Je voudrais qu'on me donne... pour mourir. J'attends la mort, je voudrais qu'elle vienne», répond ainsi en pleurant une femme à qui l'enquêteur demande si elle estime qu'« on s'occupe bien d'elle ici».</scr
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