Patrimoine : un texte pour réconcilier les élus et les architectes des bâtiments de France
Par Lucile Bonnin
« Plus de confiance aux maires ; une meilleure cohérence et une capacité réelle et rapide à contester un avis rendu » : ce sont les principaux objectifs du texte qui va être discuté ce jour en séance publique au Sénat, selon le sénateur de l’Aisne Pierre-Jean Verzelen, rapporteur de la proposition de loi. Cette dernière constitue la traduction des recommandations qui ont été émises en octobre dernier par la mission d'information relative au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France (ABF) (lire Maire info du 7 octobre).
Si la mission des architectes des bâtiments de France (ABF) est essentielle pour la protection du patrimoine architectural et paysager, l’exercice de leurs contrôles donne lieu à « des tensions récurrentes sur le terrain » selon les sénateurs qui ont recueilli pendant six mois près de 1 500 contributions de la part des maires.
« Manque de prévisibilité des avis rendus », « coût élevé associé aux décisions des ABF », « manque de pédagogie », « dégradation des conditions d’exercice des ABF » entraînant une surcharge administrative : les sénateurs proposent via ce texte de « renouveler les conditions du dialogue entre les ABF, les élus locaux et l'ensemble de nos concitoyens. »
Un périmètre de contrôle adapté aux réalités du terrain
L’article 1er du texte qui va être discuté aujourd'hui au Sénat propose d’encourager le développement de périmètres délimités des abords (PDA) pour adapter la protection patrimoniale aux spécificités locales. Créés par la loi dite « LCAP » en 2016, les PDA permettent d’adapter « la restriction générale d’urbanisme dans un rayon de 500 mètres à l’intensité patrimoniale constatée dans chaque collectivité. »
La généralisation de cet outil « se heurte cependant aux contraintes procédurales de leur mise en place, qui apparaissent inutilement lourdes et bien souvent coûteuses » . C’est pourquoi le texte propose de supprimer « deux formalités consultatives aujourd’hui obligatoires » pour mettre en place des PDA : la consultation du propriétaire ou de l’affectataire du monument historique et la conduite d’une enquête publique.
L’article 1er vise également à « reconnaître la possibilité pour les élus qui le souhaitent d'assortir le PDA d'un règlement permettant de définir de manière consensuelle les règles applicables dans la zone protégée, afin de faciliter l'intervention des ABF et d'améliorer la prévisibilité de leurs décisions » . L’adoption de ce règlement devra se faire en lien avec l’ABF et après consultation de la population dans le cadre d’une enquête publique réalisée de préférence à l’occasion de l’élaboration, de la révision ou de la modification des PLU.
Transparence et dialogue
Afin d’assurer davantage de transparence dans les décisions rendues par les ABF, l’article 2 du texte propose de rendre systématique la publication de ces dernières qui ne sont actuellement pas publiques. « Alors qu’ils constituent une source d’information précieuse pour les services instructeurs et les porteurs de projet, cette exception fait figure d’anomalie à l’heure des efforts de transparence des autorités administratives » , estime le rapporteur.
Notons que la même mesure a été adoptée en juin 2024 par la commission des affaires économiques dans le cadre du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables (lire Maire info du 15 mai 2024). Particulièrement controversé, ce projet de loi n’a cependant toujours pas été discuté en séance publique au Sénat, son examen ayant été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale.
L’article 3 concerne enfin un aspect particulièrement important pour les maires : le règlement des dossiers litigieux. La proposition de loi prévoit, en amont des procédures de recours à l’échelon régional, que le préfet de région puisse réunir, « sur simple demande du maire », une « commission de conciliation » assurant l’examen collégial de ces dossiers qui posent problème.
Plus précisément, « cette commission se réunirait périodiquement sur l'ensemble des dossiers litigieux du département, sur demande du maire de la commune concernée par le projet d'urbanisme et à l'initiative du préfet de région. Elle serait composée, au-delà du pétitionnaire, des maires concernés par les dossiers litigieux, de l'ABF et du préfet de région, d'élus du département membre de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ou encore de représentants d'associations de protection du patrimoine. Le maire aurait la possibilité d'ajouter à cette liste toute personne intéressée par le dossier. » Les maires auraient un mois pour y recourir.
Rappelons qu’aujourd’hui si les refus des ABF restent « rares » (14 %) pour chaque demande d’urbanisme, les accords avec prescriptions représentent la moitié des avis qu’elle émet. Ces dernières supposent donc souvent des travaux « significativement plus coûteux que le budget initial », ce qui est à l’origine de ces fameuses « tensions récurrentes sur le terrain » dénoncées par le rapporteur.
Une mesure en faveur de la réhabilitation du bâti ancien
Le dernier article de ce texte porte sur l’adaptation du bâti patrimonial ancien aux contraintes nouvelles résultant du réchauffement climatique. Il propose concrètement de compléter l’article 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture pour faire figurer la réhabilitation des constructions parmi les activités architecturales d’intérêt public.
Selon les dispositions de cette loi actuellement en vigueur, « sont considérés comme d'intérêt public la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant et le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine ».
Le but de cette mesure est « d’affirmer que [la] réhabilitation relève d’un objectif partagé entre tous les professionnels de l’architecture », alors que les aménagements d’urbanisme aujourd’hui « passent trop souvent par la destruction de constructions existantes et que la rénovation énergétique donne fréquemment lieu à des pratiques délétères pour le bâti ancien ». Hasard du calendrier parlementaire, une proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien sera discutée en séance publique au Sénat demain.
Une dizaine d’amendements a été déposée sur le texte concernant les ABF. Le gouvernement s’oppose par exemple à la création d’une commission de conciliation à l’échelon départemental et propose plutôt d’élargir les compétences des commissions locales de site patrimonial remarquable. Reste à voir si cette mesure, très importante pour les maires, demeurera dans le texte finalement voté.
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