Patrimoine : la Cour des comptes déplore une dépense globale « mal appréhendée »
Par Lucile Bonnin
La dépense publique totale consacrée à la sauvegarde du patrimoine monumental (monuments historiques inscrits ou classés, sites, domaines...) augmente depuis plusieurs années. En 2021, elle atteint deux milliards d’euros alors qu’elle s’établissait à un peu plus de 1,3 milliard d’euros avant la crise sanitaire. Le Plan de relance a d’ailleurs consacré 614 millions aux monuments historiques, ce qui explique en partie cette augmentation.
Cet investissement est plutôt positif mais le dernier bilan de l’état des monuments historiques effectué en 2018 a révélé que « près du quart de ces monuments est dans un état préoccupant. » La Cour des comptes a donc formulé un certain nombre de recommandations pour une plus grande efficacité de ces financements, dans un rapport publié hier et intitulé La politique de l’État en faveur du patrimoine monumental.
Un effort financier dispersé
S’il existe un effort financier conséquent, la Cour juge que « la dépense globale est mal appréhendée » . Ils constatent que la dépense budgétaire du ministère de la Culture est « la mieux connue » mais que celle des autres ministères « n’est pas suivie correctement. » Cette dépense est donc mal estimée, d’autant plus que « la dépense des collectivités territoriales ne fait pas l’objet d’une évaluation consolidée régulière ».
Sachant que 51 % des monuments historiques français appartiennent à des communes, selon les chiffres du ministère de la Culture, les estimations des dépenses pour l’entretien de leur patrimoine restent floues et anciennes. L’Atlas régional de la Culture publié en 2018 estimait que les communes de plus de 3 500 habitants (et les groupements de communes comptant au moins une commune de plus de 3 500 habitants) consacraient 310 millions d'euros à l’entretien de leur patrimoine culturel en 2016. Mais ces chiffres restent approximatifs et surtout datés.
Concrètement, le rapport pointe l’incomplétude du « jaune budgétaire "Effort financier de l’État dans le domaine de la culture et de la communication" s’agissant des dépenses des autres ministères affectataires de monuments historiques et des aides de l’État dont bénéficient les collectivités territoriales au titre du patrimoine local. »
Des réformes aux résultats « décevants »
Il est rappelé dans le rapport qu’une « importante réforme de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre des opérations de conservation a eu lieu en 2009 » . La réforme de la maitrise d’ouvrage a en quelque sorte légué aux propriétaires des monuments classés la tâche de faire ces opérations de conservation, « qu’il s’agisse de collectivités territoriales (51 % des monuments historiques) ou de propriétaires privés (43 %). » La réforme de la maitrise d’œuvre a, de son côté, « mis fin à l’exclusivité dont bénéficiaient depuis l’origine les architectes en chef des monuments historiques sur l’ensemble des monuments classés. »
Plus de dix ans après, la Cour des comptes observe que « les résultats de ces deux réformes très importantes sont décevants. » C’est avant tout « l’inégale répartition territoriale et le caractère hétérogène de leur niveau technique » qui sont vraisemblablement les deux éléments de faiblesse de ces réformes.
Autre problème : la Cour des comptes prédit une « fragilisation des ressources humaines en charge de la mise en œuvre de cette politique » qui serait « préoccupante » . Conservateurs du patrimoine, architectes urbanistes de l’État, ingénieurs, techniciens : « Compte tenu de l’importance de la commande publique pour des travaux de conservation, et des risques avérés de goulets d’étranglement, il est indispensable que le ministère dispose d’une prospective fiable sur les effectifs des filières métiers du patrimoine » , indiquent les magistrats dans ce rapport.
Une politique qui « souffre d’un trop grand cloisonnement »
La Cour souligne enfin qu’il existe « de fortes disparités entre les régions » et que « les initiatives de stratégie thématique des Drac ne devraient pas dispenser le ministère de travailler à un cadrage stratégique national en matière de protection, aussi bien par grands thèmes que pour définir les tâches prioritaires. »
D’un autre côté, la Cour des comptes reproche à la politique du patrimoine en faveur de la conservation et de la protection juridique des monuments de laisser « trop peu de place à une approche intégrée passant par la concertation avec les acteurs locaux. » Cette approche est recommandée par la Cour notamment pour les « petites et moyennes villes dotées d’un patrimoine remarquable mais confrontées à des difficultés économiques et sociales. »
« Enfin, la politique de l’État en faveur du patrimoine souffre d’un trop grand cloisonnement entre ses trois piliers - la protection, la conservation et la mise en valeur. La Cour estime que cette politique devrait être plus globale et intégrée en prenant en pleine reconsidération l’ensemble des affectations et usages possibles des bâtiments classés et en assurant mieux leur promotion et leur valorisation à tous les niveaux de la société. »
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