Pass Culture : la Cour des comptes pointe un « risque » pour l'équité territoriale
Par A.W.
Des premiers résultats « encourageants », mais un « risque » sur les questions « d’équité et d’inégalités sociales ou territoriales ». Dans un rapport qu’elle vient de publier, la Cour des comptes a présenté ses observations définitives sur les années de mise en place du Pass Culture, imaginé en 2017, et qui entre en 2023 dans « une phase de consolidation de son modèle économique et juridique ».
Bien que sa généralisation soit récente et que son extension à de nouvelles classes d’âge soit encore inachevée, cet outil semble répondre « à certaines attentes en levant l'une des barrières, financière, à l'accès aux biens culturels » et a, selon elle, bien « vocation à représenter un levier majeur d’accès à la culture ».
Vers « un recours beaucoup plus massif » du pass
A la fin de l’année dernière, le Pass Culture comptabilisait ainsi 2,6 millions de jeunes bénéficiaires, depuis son lancement, qui ont pu dépenser plus de 290 millions d'euros, majoritairement en livres (à hauteur de 51 % pour les jeunes de 18 ans, avec « une forte prépondérance des mangas » ), et dans une moindre mesure en places de cinéma (17 %) et dans des instruments de musique (11 %). Du fait de « l’impossibilité d’assister à des représentations pendant la crise sanitaire », le spectacle vivant reste, de son côté, encore dans une phase de « rattrapage ».
Outre la part dite « individuelle » du pass qui met à disposition des 15 à 18 ans de 20 à 300 euros par an selon leur âge, le déploiement de sa part « collective » (qui permet à un professeur de financer des activités d’éducation artistique et culturelle pour sa classe jusqu’au collège) montre des « taux de croissance extrêmement importants » qui « laissent présager un recours beaucoup plus massif encore au Pass ».
En effet, à la fin 2022, ce sont plus de 93 000 offres qui étaient actives (contre 30 000 fin 2022 l’année scolaire précédente), pour 1,1 million d’élèves concernés (contre 500 000) et 67 % des établissements ayant engagé au moins une action collective pour un montant moyen de réservation par élève de 12,55 euros (contre 37 %).
Des frais de transport pris en charge par les collectivités ?
Un « risque » a, toutefois, été identifié « à ce stade », « tant par le comité stratégique que par le ministère » : celui de « l’équité territoriale du recours au Pass ». En jeu, « la question de la prise en charge des frais de transport permettant d’amener les élèves dans un lieu de culture pourrait représenter un frein [à son] déploiement dans les zones les moins bien desservies », pointent les sages de la rue de Cambon.
Selon eux, « c’est sur ce plan notamment que l’articulation avec les autres dispositifs de soutien à la culture et à la jeunesse devrait être améliorée ». A ce titre, ils envisagent des partenariats « pour qu’une région ou un département prenne par exemple en charge le transport ».
Reste que « des solutions, encore à l’étude, mériteront d’être arbitrées en fonction d’une première analyse liée à une cartographie précise des taux d’utilisation de la part collective », soulignent les magistrats.
Les « dérives » du recours aux consultants
Cependant, un point noir subsiste aux yeux de la Cour. Celle-ci critique « la phase de préfiguration du dispositif jusqu’à la création de la SAS Pass Culture » dont elle dresse « un bilan sévère », qu’elle assure cependant « bien distinguer » de la situation actuelle, qui, elle, présente des « éléments de réassurance importants ».
Selon les magistrats financiers, la phase de préfiguration témoigne d’une « gouvernance problématique du projet », celui-ci ayant été piloté « de manière excessivement informelle » via une « start-up d'Etat à deux têtes » faisant appel à des prestataires extérieurs privés et des sous-traitants. « La particularité » du Pass Culture, disent-ils, est d’avoir « reposé pour l’essentiel sur les épaules de consultants » extérieurs, « mobilisés en nombre », dont la Cour dit n’avoir pu « reconstituer la liste et les fonctions précises qu'avec difficulté ».
Parmi les « diverses problématiques de gestion », celle-ci épingle donc « un contrôle déficient de la chaîne de la dépense publique et le recours à des consultants extérieurs dans des conditions discutables ». Un dernier point pour le moins « emblématique des dérives du recours extensif à des consultants extérieurs pour des missions de nature administrative et politique », selon elle, jugeant, par ailleurs, « pas satisfaisantes » les conditions de conservation des archives liées à cette période.
Abandon du financement à 80 % par le secteur privé
« Pour l’avenir, la SAS Pass Culture hérite de cette histoire compliquée et se trouve confrontée à une série de défis juridiques et humains, auxquels elle ne pourra répondre qu’à condition de s’inscrire dans une trajectoire de long terme qui implique à minima son inscription sur la liste des opérateurs de l’Etat », estiment les magistrats financiers.
Ils actent « l’échec du modèle économique pressenti qui devait permettre d’associer des financements privés à hauteur de 80 % et publics à hauteur de 20 % », conduisant l’État à assumer finalement seul la charge de cette politique qui « devrait représenter des dépenses de l’ordre de 273 millions d’euros par an au minimum, selon les hypothèses les plus prudentes, en régime de croisière ».
« La piste des partenariats avec les banques, dont il était envisagé une contribution substantielle (de 60 à 100 euros par compte activé) en contrepartie de la gestion des crédits du Pass et de la possibilité de proposer des ouvertures de compte a finalement été abandonnée compte tenu de problématiques relatives aux données individuelles qui avaient pourtant été identifiées très tôt », expliquent-ils.
S’agissant de la piste d’une contribution des collectivités territoriales au financement d’actions d’éducation artistique et culturelle, celle-ci n’a « pas abouti », bien qu’elle « continue de faire l’objet de réflexions, par exemple sur l’intégration de cartes déjà existantes au niveau local », notent-ils.
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