Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 30 septembre 2024
Outre-mer

Une proposition de loi pour supprimer le droit du sol à Mayotte

La députée mahoraise Estelle Youssouffa a déposé, vendredi, une proposition de loi constitutionnelle visant à l'abrogation du droit du sol à Mayotte. La députée reprend donc la promesse faite par Gérald Darmanin en février dernier. Explications.

Par Franck Lemarc

Dimanche 11 février 2024 : Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, atterrit sur une île de Mayotte quasi-paralysée par les blocages organisés par le collectif Forces vives. Plus que fraîchement accueilli par les manifestants – des échauffourées éclatent aux abords de la préfecture – le ministre fait alors des annonces qui, en quelques heures, amènent le collectif Forces vives à proclamer la levée des barrages. 

Entretemps, Gérald Darmanin a annoncé que le gouvernement va « prendre une décision radicale : l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle ». Et d’ajouter : « Il ne sera plus possible de devenir Français si on n’est pas soi-même enfant de parents français. (…) Il ne sera plus possible de mettre un enfant au monde ici et d’espérer devenir Français de cette façon. » 

On ignorait, alors, quand et comment cette réforme constitutionnelle allait être présentée. Et la dissolution annoncée en juin par le chef de l’État a, de toute façon, interrompu tous les projets du gouvernement Attal. 

C’est pour ne pas voir cette promesse enterrée que la députée Liot de Mayotte Estelle Youssouffa a présenté, vendredi, sa propre proposition de loi constitutionnelle sur le sujet, proposition « visant à abroger le droit du sol et le double droit du sol à Mayotte ». 

48 % d’étrangers à Mayotte

De nombreux élus mahorais voient en effet le droit du sol comme la cause de l’immigration massive venue des Comores. Avec, selon certains –Estelle Youssouffa elle-même cite cet argument dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi – la conviction qu’il s’agit d’une politique organisée par les Comores pour « submerger »  Mayotte et y gagner, à terme, « l’arrachement de Mayotte à la France »  par « la mise en minorité et l’effacement progressif de la population mahoraise ».

Quoi qu’il en soit, Mayotte est le territoire français où l’immigration est la plus forte : en 2019, l’Insee chiffrait à 48 % le nombre d’immigrés vivant sur son sol. Selon Estelle Yousouffa, ce taux aurait aujourd’hui dépassé les 50 %, puisqu’elle écrit que « plus d’un adulte sur deux vivant à Mayotte n’y est pas né ». Cette immigration massive, poursuit la députée, « engendre une saturation des services publics, qui peinent à faire face à une population en constante augmentation et (…) une dislocation de l’équilibre social et politique, entraînant un affaiblissement notable de l’autorité publique ». 

De nombreuses voix s’élèvent, depuis plusieurs années, pour supprimer le droit du sol à Mayotte, pour que les enfants étrangers nés sur l’île ne bénéficient pas « automatiquement »  de la nationalité française. 

Droit du sol et double droit du sol

Rappelons brièvement les règles permettant d’acquérir la nationalité française.

Il existe, en France, à la fois un droit du sang et un droit du sol. Le droit du sang s’applique pour tout enfant né d’au moins un parent français. Dans ce cas, l’enfant naît « Français de plein droit ». 

Le droit du sol concerne les enfants nés sur le sol français de parents étrangers et nés à l’étranger. Dans ce cas, l’enfant acquerra automatiquement la nationalité française, mais à ses 18 ans seulement, et uniquement s’il peut justifier « avoir eu une résidence habituelle continue ou discontinue d’au moins 5 ans en France depuis l’âge de 11 ans ». 

Enfin, il existe une notion appelée « double droit du sol » : il s’agit du cas où un enfant est né en France de parents étrangers dont au moins l’un d’entre est lui-même né en France. Dans ce cas, l’enfant est automatiquement français dès la naissance, comme en dispose l’article 19-3 du Code civil : « Est français l'enfant né en France lorsque l'un de ses parents au moins y est lui-même né. » 

Il faut rappeler que, contrairement à ce que l’on entend parfois, le droit du sol a déjà été durci à Mayotte, en 2018, dans le cadre de la loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ». On entend souvent rapporter des cas de femmes étrangères qui viennent accoucher dans une maternité de Mayotte ce qui, de facto, permettrait à leur enfant de devenir français par droit du sol à 18 ans. C’est plus compliqué : la loi de 2018 ne permet l’application du droit du sol, à Mayotte, que si et seulement si, au moment de la naissance de l’enfant, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d'un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois ». 

Selon Estelle Youssouffa, toutefois, l’objectif de cette loi « n’a pas été atteint ». Ce dispositif, selon elle, a surtout conduit à une explosion des « reconnaissances frauduleuses de paternité ». Il suffit en effet qu’un étranger en situation régulière reconnaisse un enfant né à Mayotte « pour que ce dernier puisse bénéficier à terme du droit du sol et pour que, conséquemment, sa famille bénéficie du droit au séjour qui en découle ». 

Pourquoi une proposition de loi constitutionnelle ?

Estelle Youssouffa prône donc la même « solution radicale »  que celle défendue par Gérald Darmanin l’hiver dernier : la suppression du droit du sol et du double droit du sol à Mayotte. Elle propose d’ajouter cette disposition à la Constitution, après l’article 73 qui traite des « adaptations »  possibles aux lois et règlement dans les départements et régions d’outre-mer, « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières »  de ces territoires. 

La députée propose d’ajouter un article 73-1 : « Les personnes nées à Mayotte de parents étrangers ne peuvent se voir attribuer la nationalité française du seul fait de la naissance d’un de leurs parents sur ce territoire ou l’acquérir du fait de leur naissance et résidence sur ce territoire. »  La nationalité française ne serait alors attribuée que « par décision de l’autorité publique dans des conditions déterminées par la loi ». 

Il faut rappeler ici que contrairement à une idée reçue, le droit du sol ne figure pas dans la Constitution. Tout au contraire, celle-ci dispose tout à fait clairement que les questions de nationalité relèvent du domaine de la loi (article 34). Il n’est donc pas besoin, en soi, d’une proposition de loi constitutionnelle pour réformer le droit du sol, une loi ordinaire pouvant y pourvoir. 

Pourquoi, alors, une proposition de loi constitutionnelle ? Pourquoi ne pas avoir tout simplement proposé une loi ordinaire, en s’appuyant sur l’article 73 de la Constitution qui permet des « adaptations »  de la loi dans les régions ultramarines ? Précisément parce que, sur cette question précise… la Constitution l’interdit : l’article 73 précise en effet tous les domaines dans lesquels les « adaptations »  ne sont pas autorisées, et la question de la « nationalité »  figure en première place de la liste. 

Il est donc bien nécessaire de modifier la Constitution sur ce point pour pouvoir supprimer le droit du sol à Mayotte. 

Rappelons que cette mesure concernant le droit du sol à Mayotte avait déjà été proposée par François Baroin lorsqu'il était ministre des Outre-mer, entre 2005 et 2007. 

Obligation de référendum

Rappelons enfin que le processus d’adoption d’une proposition de loi de révision constitutionnelle (émanant du Parlement) n’est pas le même que celui d’un projet de loi de révision constitutionnelle (émanant du gouvernement). Dans le second cas (projet de loi), le texte doit être adopté dans les mêmes termes par les deux chambres, puis présenté devant le Congrès (réunion commune de l’Assemblée et du Sénat) et adopté à la majorité des trois cinquièmes, sauf si le président de la République décide de le faire approuver par référendum. En revanche, pour une proposition de loi, il ne peut y avoir de réunion du Congrès : la proposition doit obligatoirement faire l’objet d’un référendum. Cette procédure très lourde explique qu’aucune des quelque 150 propositions de loi de révision constitutionnelle n’a abouti depuis les débuts de la Ve République. 

L’initiative d’Estelle Youssouffa n’est donc peut-être qu’une sorte de piqûre de rappel, pour remémorer au gouvernement les engagements de Gérald Darmanin et l’inciter à déposer un projet de loi similaire. Un tel projet, vu la composition de l’Assemblée et du Sénat, aurait de bonnes chances d’être adopté, les Républicains y étant favorables et le Rassemblement national encore plus – le RN souhaitant, lui, la suppression du droit du sol dans tout le pays. 

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