Outre-mer : le Sénat adopte le projet de loi contre la « vie chère », mais déplore sa « portée limitée »
Par A.W.
Un an après les manifestations contre « la vie chère » qui ont secoué la Martinique, le projet de loi du gouvernement consacré à ce « fléau » a été largement adopté en première lecture, cette nuit, par le Sénat. Une première étape pour ce texte qui a pour objectif d’enrayer ce phénomène qui touche les territoires ultramarins et qui a conduit à une succession de mouvements sociaux ces dernières années, sans qu’aucune mesure ne puisse jusqu'à présent réellement le juguler.
Mais derrière ce vote et malgré l’« urgence des urgences » décrétée par Sébastien Lecornu, les sénateurs ont surtout considéré que ce texte était « insuffisant » et « peu ambitieux », ceux-ci redoutant les « faux espoirs » et la « déception » qu’il pourrait générer dans les outre-mer, là où les prix à la consommation sont plus élevés que dans l’Hexagone avec un niveau de vie plus bas et une pauvreté bien plus répandue.
« Effet mineur » sur les prix
« Aucun [de ces] territoires n’est épargné. L’écart de prix vis-à-vis de l’Hexagone oscille d’une façon générale autour de 15 % et, sur les produits alimentaires, il dépasse souvent les 40 % », a ainsi rappelé la nouvelle ministre des Outre-mer Naïma Moutchou. En 2022, ces derniers atteignaient ainsi 36,7 % à La Réunion et jusqu’à 40,2 % à la Martinique et 41,8 % en Guadeloupe, selon l’Insee. Plus globalement, les écarts de prix restent compris entre 9 % (La Réunion) et 31 % (Polynésie française), la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe étant proches des 15 %.
En commission, les sénateurs avaient déjà critiqué, mercredi dernier, un projet de loi qui « n’apporte aucune réponse structurelle à ces difficultés mais propose seulement des mesures à la portée limitée et aux effets difficiles à mesurer ». Ils ont ainsi regretté son « silence » sur la question des revenus du travail et le fait qu’il n’évoque que « peu de pistes » pour soutenir le tissu économique ultramarin.
Sans parler de l’insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional qui n’est « même pas abordée ». Résultat, selon eux, les différentes mesures proposées par l’exécutif, « même cumulées, ne devraient avoir qu’un effet mineur sur la formation des prix en outre-mer ».
« Budget constant, financement par péréquation et par compensation. Pas un kopeck de l’État par solidarité nationale. Et je n’ajoute pas ce qui est présenté dans le projet de loi de finances, c’est un massacre », a ainsi taclé, en séance, le sénateur socialiste de Guadeloupe Victorin Lurel, alors que la sénatrice LR de Saint-Barthélemy, Micheline Jacques, a qualifié le projet de simple « outil de communication ».
Deux mesures majeures rejetées
Porté par la nouvelle ministre des Outre-mer, ce texte a été initialement mis en oeuvre par son prédécesseur, Manuel Valls, qui a choisi de réunir un certain nombre d’éléments issus des propositions de loi en cours sur le sujet dans un seul et même projet de loi, avant de le présenter cet été en Conseil des ministres.
Pour baisser les prix, notamment sur les produits de première nécessité, le gouvernement souhaitait ainsi retirer le coût du transport du calcul du seuil de revente à perte (SRP), mais les sénateurs ont émis de fortes réserves sur cette mesure phare du texte qui cible la limite de prix en-dessous de laquelle un distributeur ne peut revendre un produit sous peine d'être sanctionné.
À leurs yeux, elle aurait surtout favorisé la « position dominante des gros distributeurs » au détriment des petits commerces et de la production locale. Ils l’ont donc supprimée, d’autant que « son impact réel sur les prix serait incertain ».
Autre disposition importante retoquée, la mise en place d'un « mécanisme de péréquation » visant à réduire les « frais d'approche » (transport, taxes, etc.) souvent élevés des produits de première nécessité importés. De quoi « vider quelque peu de sa substance » le texte, a noté la ministre des Outre-mer, mais selon les sénateurs, « cela aurait pour conséquence de majorer ces frais pour d’autres catégories de produits ».
Pouvoir de régulation des prix pour les préfets
S’agissant de l’extension du « bouclier qualité-prix » (BQP) voulu par l’exécutif aux services essentiels comme l'entretien automobile, les forfaits d'abonnement téléphonique ou internet (et non plus aux seuls produits alimentaires), elle a été soutenue par les sénateurs qui l’ont amendé en élargissant notamment les critères pris en compte, tels que « la qualité des produits, leurs conditions de production et de commercialisation et leurs performances en matière de protection de l’environnement ».
On peut aussi rappeler que, dans une circulaire récente faisant de la vie chère la « priorité absolue » des préfets ultramarins, le gouvernement demandait déjà à ces derniers d'élargir les négociations autour des prix aux « services téléphoniques, bancaires et d'entretien automobile ».
En parallèle, le Sénat a souhaité confier aux préfets ultramarins la possibilité de « réguler temporairement les prix en cas de crise », comme lors d’une catastrophe naturelle par exemple. « L’expérience du cyclone Chido à Mayotte en décembre 2024 a montré les limites du système centralisé » puisque « le décret d’encadrement des prix n’a pu être publié que quatre jours après la catastrophe, un délai trop long face à l’urgence ».
De la même manière, les préfets se sont vu accorder « à titre dérogatoire » la possibilité de réglementer le prix de vente des eaux en bouteille dans certaines conditions. « Dans plusieurs territoires ultramarins, la population est confrontée, de manière récurrente, à des difficultés d’accès à l’eau potable ; faisant face à des situations, souvent aggravées par les conditions climatiques, la vétusté des réseaux ou des interruptions de production, qui conduisent à un déséquilibre brutal du marché de l’eau embouteillée, avec des hausses de prix significatives sur les eaux minérales, de source ou rendues potables par traitement », ont rappelé les sénateurs à l’origine de la disposition.
Nouveau rejet des coupes budgétaires pour 2026
Par ailleurs, le palais du Luxembourg a décidé de « renforcer la transparence sur les avantages commerciaux consentis aux distributeurs et les sanctions » via le plafonnement des marges arrières, le renforcement des sanctions encourues par les fournisseurs et les grossistes qui refusent de transmettre les informations sur leurs conditions générales de vente ainsi que le transfert de certains coûts liés à l'éloignement des territoires ultramarins pris en charge par les distributeurs vers les fournisseurs.
Dans le même temps, le budget consacré aux territoires ultramarins était également au programme des députés, hier, qui ont une nouvelle fois rejeté, en commission des affaires sociales, les coupes dans des dispositifs de soutien aux entreprises ultramarines proposées par le gouvernement dans le projet de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Ils avaient déjà supprimé, la semaine dernière, ce « coup de rabot » dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2026, avant que ce texte ne soit rejeté par la commission.
Dans le détail, les deux textes budgétaires prévoient, pour l’an prochain, des coupes de 350 millions d'euros sur les exonérations de charges sociales spécifiques à l’Outre-mer (Lodeom) et de 400 millions d'euros sur les dispositifs de défiscalisation sur l'investissement productif sans qu’aucune réelle étude d’impact n’ait été réalisée.
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