Octroi de mer : la Cour des comptes propose de réformer une taxe « à bout de souffle »
Par A.W.
« Le temps semble venu de réformer en profondeur une fiscalité désormais à bout de souffle […] et qui ne répond plus aux enjeux structurels auxquels font face les outre-mer. » Dans un rapport publié hier sur l’octroi de mer, la Cour des comptes estime que ce droit de douane ultramarin est « à la croisée des chemins ».
Elle propose ainsi plusieurs recommandations au moment où le régime en vigueur de cette taxe doit expirer fin 2027 et que le gouvernement a annoncé, l’été dernier, vouloir le réformer dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025.
Un tiers des ressources des communes
Or les élus ultramarins y « sont profondément attachés » puisqu’elle incarne « une autonomie financière » des collectivités locales et représente en moyenne près d’un-tiers des ressources des communes, rappelle la Cour.
Avec plus de 1,6 milliard d’euros de recettes en 2022 et une hausse moyenne de 4,64 % par an depuis 2014, cette taxe constitue, en effet, une « recette majeure » pour les collectivités ultramarines de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion depuis sa création en 1670.
Participant à l’équilibre budgétaire des communes d’outre-mer, l’octroi de mer représente ainsi en moyenne 32 % des produits de gestion et couvre de fait « entre 43 et 57 % » des dépenses de personnel, mais est désormais critiqué car il renforcerait la cherté de la vie.
Au terme de son évaluation, la haute juridiction juge donc que les inconvénients du système actuel l’emportent « nettement » sur ses avantages et considère que ce régime est « globalement instable et peu prévisible, marqué par une complexité excessive et une faible transparence ». Sans compter des « impacts économiques non décelables ».
Alors que « les dépenses directement affectées aux investissements restent faibles, fluctuantes et émiettées », la Cour juge que l’affectation de « l’essentiel de la ressource » à des dépenses de fonctionnement serait « porteuse d’une forme d’accoutumance […] et d’un risque de désincitation à la recherche d’économies de fonctionnement ou à la maîtrise des dépenses publiques ».
Communes : une autonomie fiscale « quasi inexistante »
En outre, la « préférence tacite » pour la taxation des importations conduirait à ce que « les collectivités locales n’ont pas d’intérêt à ralentir les importations qui diminueraient leurs ressources de fonctionnement en favorisant des productions locales moins taxées », déplorent les magistrats financiers qui rappellent que « les taxations externes (importations) représentent 97 % des ressources de la taxe contre seulement 3 % pour les taxations internes (production locale) », en « contradiction avec l’objectif de renforcement et de développement du tissu productif local ».
Les magistrats pointent également le « rôle significatif » de l’octroi de mer dans la cherté de la vie, en « amplifi[ant] mécaniquement les effets de l’inflation », et dont la proportion sur le niveau des prix évolue « dans une fourchette de 4 à 10 % ».
Quant à l’autonomie fiscale des collectivités locales, elle est jugée « très relative ». Si elle est considérée comme « forte » pour les régions, elle paraît « quasi inexistante » pour les communes qui en sont pourtant de loin les premières bénéficiaires (avec les trois quarts des recettes de la taxe). Seulement, celles-ci « ne décident ni de l’assiette, ni des taux, ni des exonérations, ni des critères de répartition de la ressource ».
Aux yeux de la Cour, le statu quo n'est donc plus envisageable. Si la Cour n’écarte pas, « à moyen et long termes », un scénario de réforme dit « de rupture » (qui conduirait à « substituer à l’octroi de mer une nouvelle ressource, qui pourrait s’appuyer sur le modèle de la TVA via notamment une "TVA régionale" » ), elle a fait le choix de concentrer ses recommandations autour d'un scénario dit « réformiste », pour apporter des correctifs « substantiels » de court terme au dispositif actuel, sans toutefois remettre en cause son principe.
Elle préconise ainsi de réformer cette taxe autour de quatre orientations : « Renforcer son pilotage et son contrôle, optimiser l’emploi de ses ressources, adopter des mesures de simplification, de transparence et de lisibilité du dispositif [et] atténuer ses effets sur le niveau des prix ».
Parmi ses 12 recommandations, la Cour suggère d'augmenter, « d'ici 2025 », l’affectation des ressources issues de l’octroi de mer à l’investissement « en plafonnant la hausse des recettes de l’octroi de mer consacrées au fonctionnement des collectivités ». Toujours d’ici 2025, elle préconise aussi d'étudier « la possibilité d’exclure de [son] assiette les frais d’assurance et de fret » et le « plafonner durablement [...] pour des produits de première nécessité ».
« Injuste » et « excessif »
Des conclusions largement contestées par les présidents des institutions régionales ultramarines, comme celui de la collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville, qui juge « excessif » et « injuste » ce rapport lorsqu’il affirme que « les recettes d'octroi de mer alimentent ce qui serait de l'ordre d'une inconséquence budgétaire des communes ».
Selon lui, il « ne tient pas compte d’autres facteurs bien plus directs qui amplifient la masse salariale des collectivités, tels que la prime des 40 % [de rémunération des agents, NDLR], la difficulté à recruter, la faiblesse de l’initiative privée et les besoins en équipements du territoire, ainsi que des charges plus importantes en raison du coût des biens, des abonnements et de l'étendue du territoire ». Par ailleurs, « il retourne contre ces communes la logique et l'objectif premier qui ont concouru à la création de cette fiscalité locale : l'extrême faiblesse des bases fiscales en Guyane et le besoin d'apporter une ressource de fonctionnement stable aux communes ».
Aux Antilles, le président du Conseil régional de la Guadeloupe, Ary Chalus, dénoncent des axes de réforme qui, à terme, conduiront à « une perte d’autonomie fiscale des régions ultramarines », alors que le président de la collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy, pointe, de son côté, « l'absence de simulations pertinentes ».
« Les recommandations contestables de ce rapport risquent malheureusement d'alimenter le projet de réforme du gouvernement » regrette, pour sa part, la présidente du Conseil régional de La Réunion, Huguette Bello, qui s’interroge sur « la coïncidence entre la publication de ce rapport et le calendrier de la réforme tel qu'annoncé par le gouvernement ».
L'association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM) a, elle, indiqué « prendre acte » de la position de la Cour des Comptes sur l'octroi de mer.
Son président, le maire de Capesterre-de-Marie-Galante Jean-Claude Maes, dit craindre que « les collectivités et les communes auront à payer cette réforme et à travers elle les consommateurs ultramarins ». Elle redoute également que le montant total de l’octroi de mer « diminue » et que l'autonomie dont les collectivités bénéficient quant à l'administration de ces recettes ne leur soit « enlevée ».
Des propositions d’ici le début de l’été
Du côté du gouvernement, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a indiqué, dans sa réponse à la Cour, que « la substitution d'une nouvelle ressource à l'octroi de mer, qui constitue le cœur du scénario "de rupture", doit continuer de nourrir les réflexions interministérielles », précisant qu’une « refonte complète du dispositif pourrait s'avérer être un instrument efficace pour lutter contre la cherté de la vie », dans les départements et régions d'outre-mer.
S’il est encore « trop tôt » pour savoir quel sera le contenu de la réforme, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, souligne, lui, dans sa réponse, que « les administrations se sont d’ores et déjà prononcées en faveur d'une réforme ambitieuse malgré sa sensibilité politique ».
Des propositions issues de la concertation avec les collectivités locales et les acteurs socioéconomiques sont attendues « au plus tard à la fin du premier semestre 2024 ».Les associations d'élus du bloc communal n'ont pas été consultées par la Cour des comptes bien qu'elles soient largement concernées.
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