Nouvelle-Calédonie : une victoire du « non » à l'indépendance écrasante et en trompe-l'oeilÂ
Par Franck Lemarc
Lors des deux premières consultations prévues par les accords de Nouméa, 2018 et 2020, les scores avaient été relativement serrés : le non à l’indépendance l’avait emporté avec 56,67 % des voix en 2018 ; puis à 53,26 % des suffrages en 2020 – soit moins de 10 000 voix d’écart. Pour ce troisième scrutin, les résultats n’ont rien à voir : le non l’a emporté avec 96,5 % des voix.
Les deux premiers référendums avaient connu une très forte participation, respectivement de 81 et 85,7 %. Pour les analystes, l’évolution favorable au « oui » à l’indépendance, entre ces deux scrutins, tenait en partie de l’évolution du corps électoral lui-même : au fil des ans, le nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation référendaire (LESC) ne cesse d’augmenter, et sur ces listes, la part des électeurs issus de la communauté kanak – et donc potentiellement plutôt favorables à l’indépendance – est de plus en plus importante.
Il y avait donc fort à parier que lors de la troisième consultation, les scores soient encore plus serrés, voire, il n’était pas impossible que le oui l’emporte. Mais l’appel au boycott du scrutin par les partis indépendantistes a bouleversé la donne.
Abstention record
C’est l’épidémie de covid-19 qui est venue s’immiscer dans le débat et a poussé les indépendantistes à rejeter la participation au scrutin. Avec un double argument : d’une part, les mesures sanitaires strictes qui frappent l’archipel depuis cet été ont empêché que la campagne se déroule dans des conditions normales ; d’autre part, le nombre de victimes du covid-19 imposait le respect d’une période de deuil que les indépendantistes estimaient incompatible avec la tenue du scrutin.
Le résultat du référendum donne au moins une indication : celle de l’influence considérable des partis indépendantistes dans la population d’origine kanak : après tout, l’appel au boycott aurait pu ne pas être suivi par celle-ci. Mais cela n’a pas été le cas : le fait que, grosso modo, seuls les partisans du non aient voté montre que les consignes électorales des indépendantistes sont très largement suivies, ce qui permet à ceux-ci de faire une démonstration de force.
Les chiffres de l’abstention dans les fiefs indépendantistes sont sans appel. À l’échelle de toute la Nouvelle-Calédonie, l’abstention est de 56,1 %. Mais dans la province Nord, où les Kanaks sont majoritaires, elle atteint 83,24 %. Dans la province des Îles, seuls 1004 électeurs sur 22 120 inscrits ont voté, soit une participation de … 4,5 % ! À l’issue du scrutin, un reportage télévisé faisait état d’une commune des îles d’environ 2000 électeurs où, à la fin de la journée, il y avait 4 enveloppes dans l’urne.
Selon les camps, l’analyse de cette situation est évidemment différente : les indépendantistes considèrent comme une forme de victoire le fait d’avoir convaincu l’immense majorité de leur électorat de ne pas se rendre aux urnes ; tandis que les loyalistes accusent les indépendantistes de ne pas avoir participé au vote pour ne pas avoir à assumer une troisième défaite.
Scrutin « régulier et sincère »
Au lendemain de cet étrange scrutin, les positions sont naturellement très tranchées. Certes, les partis indépendantistes ont décidé de ne pas commenter les résultats du scrutin, mais leurs partisans estimaient hier que ce résultat était nul et non avenu – ils avaient prévenu, avant le scrutin, qu’ils ne reconnaîtraient pas son résultat. Quant aux porte-parole du camp loyaliste, s’ils se disent « frustrés » par l’appel au boycott des indépendantistes (« on nous a volé notre victoire », résumait hier un loyaliste), ils estiment qu’il est hors de question de remettre en cause ce résultat.
C’est également la position des autorités de l’État. Hier, le président de la commission de contrôle du scrutin, Francis Lamy, a déclaré que le taux d’abstention « n’affecte pas la régularité ni la sincérité du scrutin » : « La commission a constaté que les règles applicables, ni ne prévoient de vote obligatoire, ni ne prévoient un seuil minimal de participation », a ajouté le préfet et Conseiller d’État.
Le gouvernement a lui aussi immédiatement reconnu le résultat du scrutin. Emmanuel Macron, dans une allocution solennelle, l’a entériné : « La Nouvelle-Calédonie restera donc française », s’est réjoui le chef de l’État. « Les Calédoniennes et les Calédoniens ont choisi de rester français, ils l'ont choisi librement. Ce soir, la France est plus belle, car la Nouvelle-Calédonie a décidé d'y rester. »
Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a réagi de la même manière : « En organisant cette troisième consultation pour la Nouvelle-Calédonie, l’État a tenu la parole donnée en 1998 avec l’accord de Nouméa. Les Calédoniens ont fait le choix de la France par trois fois. Librement et clairement. C’est une grande fierté. Cette décision nous oblige. »
Et maintenant ?
« C’est le début d’une autre histoire qui commence », a ajouté Sébastien Lecornu sur Nouvelle-Calédonie la Première. Une histoire dont les règles ont été rappelées dans un document publié par le gouvernement avant le scrutin, et intitulé « Les conséquences du oui et du non ». Il y est rappelé que les accords de Nouméa prévoient, en cas de trois « non » consécutifs aux trois référendums, que « les partenaires politiques devront se réunir pour examiner la situation » : il y aurait alors « un nouveau chapitre à écrire entre l’État, les responsables calédoniens et le Parlement français ».
L’accord de Nouméa prévoyait une période de transition qui prendra fin en juin 2023. Il va donc falloir, d’ici là, « définir un nouveau cadre institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie », qui devra être approuvé par référendum « au plus tard le 30 juin 2023 ». Les actuelles dispositions régissant la Nouvelle-Calédonie, inscrites dans la Constitution aux articles 76 et 77, sont en effet « transitoires ». En tout état de cause, est-il indiqué dans le document du gouvernement, « le caractère transitoire des dispositions actuelles impliquera de réviser la Constitution pour redéfinir la place de la Nouvelle-Calédonie dans l’architecture institutionnelle de la République. » L’organisation spécifique du corps électoral, en particulier, décidé au moment des accords de Nouméa, « ne saurait être pérenne ».
Le cadre dans lequel ces discussions vont se dérouler reste à fixer. Et – ce qui est peut-être la question la plus importante – il reste à savoir si les partis indépendantistes vont y participer ou s’ils vont faire un autre choix. Le document publié par le gouvernement fixe en tout cas les limites et envisage l’hypothèse d’une « déclaration unilatérale d’indépendance » et d’une « partition » de la Nouvelle-Calédonie : une telle décision n’aurait « aucune validité sur le plan juridique et démocratique ». En conséquence, « la France refusera donc toute forme de partition du territoire calédonien ».
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