Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 1er décembre 2021
Outre-mer

Guadeloupe : les maires demandent l'organisation d'un « Grenelle »

La situation semble bloquée en Guadeloupe malgré la visite du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, que les élus locaux ont finalement refusé de rencontrer. Les raisons de ce refus, et un point sur les positions - unanimes - des élus locaux guadeloupéens. 

Par Franck Lemarc

De nombreux barrages sont maintenus, ces dernières heures, en Guadeloupe, et les violences n’ont pas cessé – la mairie de Basse-Terre a même connu un début d’incendie, hier. Le ministre Sébastien Lecornu a quitté hier la Guadeloupe pour la Martinique, où il a rencontré des élus et des représentants de l’intersyndicale. En Guadeloupe, en revanche, les élus ont refusé de le rencontrer. Pourquoi ? Maire info a posé la question à Jocelyn Sapotille, maire de Lamentin et président de l’association des maires de Guadeloupe. 

Préalables « irrecevables » 

Les élus avaient pourtant bien demandé le déplacement dans l’île d’une délégation interministérielle. Mais, outre le fait que le ministre soit venu seul, plusieurs de ses prises de position – et attitudes – ont poussé les élus à refuser la rencontre : « Nous avons estimé qu’une telle rencontre ne permettrait pas de calmer la situation, et, parce que nous voulons aussi garder le lien avec la population, nous avons voulu donner un signal fort », raconte Jocelyn Sapotille. Plusieurs préalables mis en avant par le ministre ont en effet été jugés irrecevables : d’abord son exigence de voir « les syndicats condamner les violences comme préalable à toute ouverture du dialogue social ». Ensuite ses déclarations renvoyant la responsabilité de la situation (par exemple sur la question de l’eau) « aux seuls élus ». À son arrivée, Sébastien Lecornu avait en effet déclaré : « Ce qui est compliqué, c'est de se faire engueuler pour des choses dont l'État n'est pas responsable. (…) Il faut que chacun soit à sa place dans ce territoire ». 

Le choix du ministre de rencontrer, en premier, les gendarmes et les policiers a également été mal vécu : « Sur la forme, son attitude a été trop martiale, elle ne marquait pas une volonté d’apaisement mais plutôt un signe de défiance, regrette le maire de Lamentin. Nous sommes des républicains, nous estimons que l’ordre républicain doit être rétabli, mais il faut que des négociations s’ouvrent immédiatement. Il faut le maintien de l’ordre, mais il ne faut pas que le maintien de l’ordre : il faut aussi le dialogue social. » 

La question de l’eau

Jocelyn Sapotille estime que malgré ce rendez-vous manqué, « il n’y a pas de rupture avec l’État. »  S’il ne cherche pas à « se défausser »  de la responsabilité des élus sur un certain nombre de sujets, dont, en premier lieu, l’eau, il n’accepte pas que le ministre ait déclaré que l’État n’était « pas responsable ». « Chacun doit prendre sa part, et l’État doit prendre la sienne. L’état du réseau d’eau en Guadeloupe doit beaucoup aux manquements de l’État d’avant la décentralisation. Il a aussi joué un rôle – tout comme les syndicats – dans le départ de la Générale des eaux [devenue Veolia - ndlr], qui est partie sans mettre à jour les compteurs financiers. »  Dans certaines communes, dont la sienne, les maires se sont battus pour que la Générale des eaux ne parte pas sans payer (Lamentin a reçu une indemnité de « 4 millions d’euros » ). 

La situation du réseau d’eau guadeloupéen est catastrophique, et de nombreux habitants n’ont pas l’eau courante en permanence – ce qui est le comble dans une île soumise au climat tropical et qui ne manque pas de précipitations. Selon les estimations de l’Inrae, le rendement du réseau guadeloupéen est de 40 % – ce qui signifie que sur 1000 litres d’eau transportés, 600 partent dans la nature du fait des fuites et n’arrivent pas aux robinets. Le syndicat mixte regroupant toutes les intercommunalités de Guadeloupe et chargé de la gestion de l’eau est « mort-né », juge le maire de Lamentin, et « ne bénéficie même pas du fonds de roulement permettant de gérer le fonctionnement ». La raison en est simple : « il y a tellement de mécontentement »  que de nombreux usagers ne payent pas leurs factures, faute de service, et le taux de recouvrement des factures est d’à peine « 60 % », quand il faudrait qu’il soit de 80 ou 90 % pour que le service puisse fonctionner normalement.

Face à cette situation, « l’État doit se mettre autour de la table, même si ce n’est plus sa compétence. Les investissements sur les réseaux et les usines sont tels qu’ils ne pourront se faire sans cofinancements. » 

Un « Grenelle », d’urgence

Les élus – Jocelyn Sapotille souligne qu’ils sont « unanimes », qu’il s’agisse de maires, d’élus départementaux ou régionaux – demandent donc l’ouverture « immédiate »  de « négociations sérieuses ». « Ce que nous attendons, ce n’est pas le rapport de force, c’est de travailler. Il faut mettre en place une formation efficace, avec cinq ou six ateliers sur les plus gros sujets. Et il faut que toutes les parties prenantes soient là : l’État et les élus, bien sûr, les syndicats, mais aussi le patronat. Les manifestants parlent du coût de la vie et du pouvoir d’achat, cela signifie qu’il faut discuter des salaires, comment le faire si les représentants du patronat ne sont pas autour de la table ? ». Ce que réclament les élus, c’est un véritable « Grenelle », c’est-à-dire une négociation d’ampleur où toutes les parties sont représentées. 

Quant à la question de « l’autonomie », évoquée par le ministre avant même son arrivée sur l’île, Jocelyn Sapotille tient à mettre les choses au point : « Moi, je ne me défausse pas. Cette question de l’autonomie a bien été posée par les maires. Sauf que ce mot ne veut pas dire la même chose chez les uns et les autres : pour beaucoup, ‘autonomie’’, cela veut dire ‘’indépendance’’. Mais nous, les maires, nous ne parlons pas de cela : nous parlons décentralisation renforcée, nous parlons différenciation. Finalement, quand nous évoquons l’autonomie, nous le faisons de la même manière que n’importe quel élu local sur le territoire, y compris sur le territoire hexagonal ! ». Mais quoi qu’il en soit, le maire de Lamentin estime que le « timing »  n’est pas le bon, que « ce ne sont pas des questions que l’on discute en pleine crise sociale ».

Hier, les élus de Guadeloupe ont envoyé un courrier au gouvernement pour demander l’ouverture de négociations. Ils ont également contacté les organisations syndicales afin de discuter de leurs revendications et « du format des négociations ». 

Hier soir, la secrétaire générale du syndicat UGTG, Maïté Hubert M’Toumo, a déclaré sur la chaîne Guadeloupe la 1ère que les syndicats étaient d’accord avec les élus sur le principe de l’ouverture rapide de discussions. Une date devrait être proposée dès aujourd’hui, les syndicats souhaitant déjà « écouter ce que les élus ont à (leur) dire ». La syndicaliste a néanmoins déclaré, elle aussi, que « les points les plus urgents »  dépendaient de l’État et non des élus. « Nous ne souhaitons pas segmenter les négociations, élus d’un côté, État de l’autre : l’État est pleinement concerné par toutes nos revendications. » 

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