Crise de l'eau à Mayotte : des associations appellent l'État à prendre ses responsabilités
Par Lucile Bonnin
« Les Mahorais vivent en situation de crise humanitaire ignorée, loin des standards d'un département français, où ils doivent pourtant continuer à remplir leurs obligations professionnelles, citoyennes et personnelles comme si de rien n’était, avec des répercussions sur leur dignité inimaginables pour toute personne qui ne le vit pas » , explique Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif.
La crise de l’eau s’aggrave depuis mars dernier, fin de la dernière saison des pluies, avec des coupures d’eau potable organisées par la préfecture sur l’île allant de « 16 heures par jour cet été, à deux jours sur trois à partir de septembre, jusqu’à un accès de 18 heures à l’eau courante tous les trois jours depuis le mois d’octobre ».
Cependant, « ces tours d’eau » mis en place « pour économiser une ressource qui s’épuise depuis des années sur une île asséchée » ne concernent pas les « 18 % de Mahorais en grande précarité qui ne sont toujours pas raccordés au réseau » , selon les associations Mayotte a soif et Notre affaire à tous. La situation est catastrophique aussi bien d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Actuellement, le maximum de fourniture en eau par personne est de 84 litres par jours selon les associations. « Sur le plan qualitatif, le constat n’est pas meilleur, puisque la majorité des masses d’eau de l’île sont dans un état écologique « mauvais » ou « médiocre », en raison de pollutions multiples notamment liées aux déchets », pointe leur communiqué de presse commun.
Ainsi, face à cette situation qui s’enlise, l’association Notre Affaire à Tous et l’association Mayotte a soif accompagnent 15 victimes mahoraises dans un référé-liberté pour faire reconnaître l'impact de la crise de l’eau sur leurs droits fondamentaux et la réponse insuffisante de l'État.
Référé-liberté
Les associations ont donc déposé un référé-liberté au tribunal administratif de Mayotte espérant que ce dernier « permettra d’ordonner en urgence à l’État de prendre des mesures de sortie de crise équitables, à la hauteur du drame sanitaire et humain qui se déroule sur l’île, et durablement adaptées aux problématiques propres à ce territoire français ultramarin » .
En effet, le collectif souhaite « faire reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux des mahorais : droit à l’eau, droit à l’éducation, droit à la santé, droit à un environnement sain » ce qui passerait selon les deux associations par « un diagnostic des surcoûts engendrés par la crise de l’eau, des discriminations engendrées par la crise et les réponses à celle-ci, des impacts sur l’éducation des enfants et sur l’impact environnemental de la crise ».
Cette démarche vise aussi à « imposer à l’État et à ses services le déclenchement (…) du plan Orsec eau potable, obligatoire pour tous les départements depuis 2020 et censé planifier et organiser les réponses aux crises les plus graves » . Le député de Mayotte Mansour Kamardine avait déjà demandé en septembre le déclenchement de ce plan d’urgence.
À travers ce recours le but est aussi de « rétablir au plus vite la fourniture d’eau potable en qualité et quantité suffisante, en priorité au sein des établissements scolaires et de santé » . Les associations demandent « des mesures précises et chiffrées (…) pour combler au plus vite les besoins restants de la population, qu’on peut estimer à 34 000 m3 par jour, soit 34 000 000 litres ».
Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif déposent aussi un référé-liberté pour savoir « comment l’État compte gérer la crise sanitaire imminente déclenchée par la crise de l’eau actuelle, en commençant par établir un diagnostic des impacts sanitaires de la crise sous 6 mois ».
Selon Santé Publique France, cette crise de l’eau a en effet « déclenché une forte épidémie de gastro-entérite, qui aggrave aussi le risque d’épidémies de choléra, d'hépatite A, de fièvre typhoïde et de poliomyélite » alors même que le territoire souffre d’une pénurie de soignants. Les associations rappellent dans leur dossier de presse que ces conséquences résultent « de plusieurs années d’un désengagement de l’État sur ces questions et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques déployées ».
« Une réaction insuffisante »
Évidemment l’État a réagi, mais pas à la hauteur des besoins, comme le pointe le collectif mahorais. Comme annoncé le 2 novembre dernier par le gouvernement, la distribution d’eau en bouteille sera élargie à toute la population mahoraise à compter du lundi 20 novembre 2023, dans toutes les communes du département. « Cela représente quinze millions de litres d’eau en bouteille acheminés chaque mois de la métropole, deux millions en provenance de La Réunion et de l’île Maurice, indique le dossier de presse des associations. Ce volume mensuel correspond à moins de la moitié des besoins journaliers des habitants. »
Selon la Défenseure des droits, qui s'est rendue à Mayotte du 28 au 31 octobre, cette nouvelle mesure n’est pas satisfaisante : « S'il faut prouver sur la base de documents que l'on habite bien dans telle commune pour bénéficier d'une distribution, je n'ai pas de doute que cela va exclure les plus précaires. Qu'ils soient en situation irrégulière ou non, ces publics n'ont pas toujours les moyens de prouver un lieu de résidence » , a souligné Claire Hédon auprès de Clicanoo, un quotidien réunionnais.
Enfin, « d’autres mesures ont également été annoncées, comme des investissements pour des travaux, dont 2 millions d’euros pour une station de traitement d’eau » (lire Maire info du 27 septembre). Mais du point de vue des associations il faut aller plus loin et l’État doit porter d’autres solutions notamment « en collaboration avec des ingénieurs et des hydrologues, (…) afin de lutter contre les sécheresses de plus en plus longues et violentes à Mayotte ». Pour elles, améliorer le service d’assainissement et de traitement des eaux usées est une première piste qui « réduirait considérablement les pertes en eau et les risques sanitaires ».
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