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Édition du vendredi 10 janvier 2025
Outre-mer

Cherté de la vie en Outre-mer : la responsabilité de l'octroi de mer serait finalement très limitée

« Le niveau élevé des prix dans les départements ultramarins est souvent d'abord la conséquence de monopoles ou d'oligopoles », selon une étude de l'AMF et de l'Association des communes et collectivités ultramarines qui proposent, toutefois, des « ajustements » pour améliorer cette taxe souvent décriée.

Par A.W.

L’octroi de mer est-il vraiment le grand responsable des prix élevés dans les territoires ultramarins ? Dans un contexte où le coût de la vie met en ébullition des populations d’outre-mer en grande difficulté dans leurs achats du quotidien, cette taxe spécifique aux départements ultramarins (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion) est souvent accusée de tous les maux, mais n’aurait finalement qu’un impact « résiduel »  sur la formation des prix dans ces territoires. 

C’est ce que constatent l’AMF et l’Association des communes et collectivités d'Outre-mer (ACCD’OM), dans une étude publiée hier qui évalue l’impact sur les prix à la consommation de ce qui est encore l'un des plus vieux impôts du pays, instauré au XVIIe siècle par la puissance coloniale française et qui représente désormais une ressource essentielle pour les collectivités.

Jusqu'à 80 % des recettes des collectivités

La forte mobilisation lancée en Martinique, en septembre dernier, qui dénonçait la vie chère dans l’île et qui a dégénéré en émeutes (et entraîné près de 100 millions d’euros de dégâts), l’a largement remis sur le devant de la scène. Durant l’hiver 2018-2019 déjà, la suppression de cette taxe faisait partie des revendications majeures des Gilets jaunes ultramarins. Le sujet revient de manière périodique.

Souvent pointé du doigt, l’octroi de mer est perçu comme le premier facteur à l’origine de l’écart de prix très important entre les territoires ultramarins et la métropole. Et les projets annoncés pour le modifier ou le supprimer sont légion. En 2019, le gouvernement voulait le remplacer par la TVA, en 2023 Bruno Le Maire voulait de nouveau le réformer. Les rapports le remettant en cause s’enchaînent également.  

Saisis en 2018 par plusieurs sociétés antillaises, le Conseil constitutionnel avait même dû confirmer que l’octroi de mer était bien « conforme à la Constitution ». 

Or, ce sujet reste « un enjeu majeur »  pour les élus locaux puisqu’il « constitue une part importante du financement des collectivités et c’est aussi une autonomie fiscale que nous souhaitons garder », a expliqué hier le maire de la Petite-Ile et président de l’Association des maires de La Réunion, Serge Hoareau, lors d’une conférence de presse.

En 2023, l’octroi de mer représentait ainsi un peu plus de 1,5 milliard d’euros, dont 1,1 milliard d’euros pour les seules communes, le reste allant aux régions ultramarines et au département de Mayotte. Il représente environ 50 % des recettes fiscales des communes en moyenne « et peut aller jusqu’à 75-80 % de la recette à Mayotte », souligne Nadia Damardji, dirigeante d’Action publique conseil, qui a été chargé de réaliser l’étude de l’ACCD’OM et de l’AMF.

Un impact de 4,5 à 9 % sur le prix final

En compilant diverses études qui ont été conduites par le passé sur la question du poids de l’octroi de mer dans le prix final, cette dernière constate que « personne n’arrive à démontrer que [cette taxe] à un impact sur les prix supérieur de 4,5 à 6 % ». Seul un rapport « commandé par l’Etat »  porte cette proportion à 9 % sur le prix final, mais « uniquement à la Réunion », collectivité… qui possède « historiquement les taux d’octroi de mer les plus bas ».

En fait, trois autres facteurs de vie chère ont été identifiés dans les outre-mer. D’abord, la dirigeante d’Action publique conseil pointe « l’éloignement vis-à-vis de l’Europe, l’insularité et l’étroitesse des marchés qui intègrent une partie incompressible de surcoûts et induisent nécessairement des prix chers ». Un impact « impossible à contourner »  du fait des coûts de transport et de la concurrence limitée notamment.

Ensuite vient la « disparité des revenus ». Il y a un écart de 28 % de revenus entre l’outre-mer et la France métropolitaine, mais aussi à l’intérieur même des populations ultramarines. « Il y a ceux qui sont « in »  et qui bénéficient d’une sur-rémunération des salaires, notamment les fonctionnaires, avec un effet de contagion sur les cadres du secteur privé ; et puis il y a les autres, les « out », qui sont exclus et souvent éloignés du marché du travail », explique Nadia Damardji. Ces derniers « subissent ainsi les prix d’un marché organisé [par les importateurs et les distributeurs] pour répondre au pouvoir d’achat »  des premiers.

Plus de transparence

Enfin, c’est le fonctionnement même de l’octroi de mer « peu transparent et parfois aux limites de la légalité »  qui amplifie son impact sur les prix.

Pour les produits importés, l’octroi de mer fonctionne « comme un droit de douane et pas du tout comme une taxe ». « Une fois payé sur le bateau, avant débarquement, il disparaît comptablement. C’est là que le bât blesse, car une fois payé au port, tous les autres intermédiaires – que ce soit manutention, transports, grossiste, distributeur… - margent sur le prix avec l’octroi de mer », détaille Nadia Damardji. 

Sans compter que « même la TVA est appliquée sur un prix octroi de mer compris, ce qui est contraire à la loi ». In fine, sur un produit arrivant au port d’une valeur de 20 euros avec un taux de 15 %, une collectivité percevra 3 euros d’octroi de mer alors que le consommateur en aura indirectement payé 6 euros.

En outre, le fait que le montant de la taxe disparaisse une fois payée au port et n’apparaît pas sur la facture du consommateur permet de lui attribuer « tous les impacts et tous les fantasmes que l’on voudra ». Le consommateur ne sait donc jamais combien il paie d’octroi de mer.

Plusieurs pistes

A noter également que la suppression de l’octroi de mer entraînerait des conséquences sur la production locale, qui repose en grande partie sur l’agroalimentaire. « Le dispositif actuel permet à la production locale d’exister. Sans ça, elle n’existerait pas »  et « ferait de nos territoires des grandes surfaces commerciales », a d’ailleurs prévenu Serge Hoareau.

Il y a donc des ajustements possibles avec la « coexistence éventuelle de deux dispositifs », avancent finalement les auteurs de l'étude qui envisagent notamment un octroi de mer sur l'ensemble des biens importés fonctionnant comme une taxe « type TVA ». Avec plusieurs avantages : « baisser le prix à la consommation par la diminution mécanique du prix de revient »  et rendre la taxe transparente en apparaissant sur la facture du consommateur. En outre, l'AMF et l'ACCD'OM proposent la possibilité d'« un octroi de mer sur les biens importés et produits localement (qui) continuerait de fonctionner tel qu’actuellement c’est-à-dire comme un droit de douane ». 

Tous ces éléments ont pour objectif d’engager la concertation et de faire des propositions d’évolution au gouvernement puisque les élus locaux refusent de se priver d’une taxe aux mains des collectivités contre une part de TVA. « L’essentiel pour les territoires d’outre-mer, c’est de pouvoir avoir une fiscalité rattachée au niveau du territoire, on écarte l’idée d’instaurer une forme de TVA type national », a expliqué Serge Hoareau, en rappelant « ne pas être contre une évolution de l’octroi de mer ». 

« Un sujet qui reste d’actualité puisque l’on va devoir repasser devant l’Union européenne »  en 2025 puis en 2027 pour « valider l’existence de cette fiscalité ».

Autre actualité liée à la chute du gouvernement Barnier. La baisse des prix prévue au 1er janvier 2025 sur 6 000 produits n’a pu être appliquée. Afin de contenir la mobilisation lancée au début de septembre par le mouvement contre la vie chère en Martinique, un protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère avait, en effet, été signé le 16 octobre entre l’Etat, les élus martiniquais, les entreprises, mais pas par le collectif à l’origine du mouvement.

Les sénateurs, soutenus par le gouvernement, avaient aussi adopté lors de l’examen du projet de budget pour 2025 une mesure visant à appliquer une exonération de TVA sur certains produits « de première nécessité »  alimentaires et non alimentaires, qui devaient eux-mêmes être exonérés temporairement d’octroi de mer jusqu’au 31 décembre 2027. Mais depuis, l’examen du PLF a été suspendu.

Télécharger l'étude.
 

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